Actualité - ESMO

L’Institut Curie sur tous les fronts au congrès annuel de l’ESMO

21/09/2020
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Du 19 au 21 septembre se tient le Congrès de l’ESMO, la Société européenne d’oncologie médicale. Ce grand rendez-vous annuel de la cancérologie se déroule « virtuellement » en 2020, mais cela n’empêche pas les médecins-chercheurs de l’Institut Curie d’être présents. Nombre de leurs travaux ont retenu l’attention des organisateurs.

ESMO 2020

Le Pr Nicolas Girard, oncologue pneumologue à l’Institut Curie et responsable de l’Institut du thorax Curie-Montsouris, y présente les tout premiers résultats d’une étude internationale à laquelle l’Institut Curie participe. Il s’agit de tester l’efficacité d’une nouvelle combinaison de médicaments associant une immunothérapie, destinée à stimuler les défenses immunitaires du patient contre la tumeur, et un médicament antiangiogénique, qui empêche la formation de vaisseaux sanguins dans et autour de la tumeur.

Il faut savoir que ces vaisseaux sanguins alimentent la tumeur et donc accélèrent son expansion, mais ils favorisent aussi la présence de lymphocytes T régulateurs qui inhibent la réaction immunitaire. La combinaison des deux médicaments, au-delà de cumuler leurs effets, a donc pour objectif de créer une synergie

explique le Pr Girard.

En effet, sans vaisseaux sanguins et donc sans lymphocytes Treg, l’immunothérapie aurait plus de chances d’être efficace... Les premiers résultats confirment cette hypothèse : chez 15 des 18 patients évalués, la maladie s’est révélée contrôlée. Des effets secondaires ont été enregistrés, mais les mêmes que ceux déjà connus et donc attendus pour l’un et l’autre traitement. L’étude se poursuit, dans une quinzaine de centres dans le monde, sur un plus grand nombre de patients.

Cette stratégie est quelque chose de très intéressant, d’autant qu’elle peut concerner l’ensemble des tumeurs solides, indépendamment de l’organe touché : poumon, cerveau, foie...

 conclut le Pr Girard.

Nicolas Girard

 

Le Dr Paul Cottu, chef adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie, présente quant à lui des résultats complémentaires d’un essai clinique appelé CompLEEment-1. Cette vaste étude de phase IIIb a concerné plus de 3 200 femmes et a évalué l’efficacité d’un traitement ciblé, le ribociclib, en complément d’un traitement hormonal chez des patientes atteintes de formes avancées de cancers du sein. Paul Cottu et ses collègues ont voulu tirer des enseignements plus nombreux et précis de cet essai. Ils ont donc examiné les résultats spécifiques de sous-groupes de malades pour répondre à des questions telles que : est-ce qu’une patiente âgée tire le même bénéfice de ce traitement qu’une autre plus jeune ? est-ce que le fait d’avoir reçu une chimiothérapie avant ces traitements change la donne ? Est-ce qu’un mauvais état de santé général engendre plus d’effets secondaires ?... Et la conclusion de ces explorations est positive :

On peut manier ces médicaments de la même manière chez tous les profils de patientes avec le même bénéfice et sans plus de risques

 explique le Dr Cottu.

De façon générale, cette étude « invite à sortir de la “zone de confort” d’un essai clinique, à se donner les moyens d’explorer le potentiel d’un traitement chez d’autres populations afin d’en étendre les indications », insiste le médecin.

Paul Cottu

 

Une conclusion qui va dans le sens des interventions du Pr Christophe Le Tourneau, oncologue médical et chef du département des essais cliniques précoces (D3i) à l’Institut Curie, à ce congrès. En effet, celui-ci présentera notamment l’intérêt de l’utilisation de données dites « de vie réelle », en complément des données fournies par les essais cliniques. Les patients participant à un essai clinique sont sélectionnés, et ne correspondent pas à la population réelle à laquelle un traitement est ensuite administré. Une meilleure connaissance de la biologie des cancers a conduit à une segmentation moléculaire du cancer, avec des traitements parfois développés pour de très petits sous-groupes de patients (par exemple, les inhibiteurs de NTRK chez des patients ayant une fusion de NTRK, qui représentent seulement 0,3 % des patients).

Dans ce contexte, les essais randomisés sont très difficiles à réaliser et l’analyse de cohortes de patients en vie réelle pourrait permettre d’accélérer de façon très importante le développement de ces traitements

explique le Pr Le Tourneau.

En effet, du fait de l’hétérogénéité de l’accès aux médicaments à travers le monde, l’analyse de données de vie réelle de qualité sur de très larges populations de patients peut permettre de démontrer instantanément la valeur d’un nouveau traitement. De plus, les résultats obtenus sont valables au-delà des populations habituellement sélectionnées pour des essais cliniques. Afin de mieux prendre en compte ces données et sur une plus grande échelle, un programme de vie réelle international dans lequel est impliqué Christophe Le Tourneau va démarrer bientôt.

Christophe Le Tourneau

Le Dr Cindy Neuzillet, maître de conférences des universités et gastro-entérologue hépatologue responsable de l’oncologie digestive sur le site de Saint-Cloud de l’Institut Curie, a elle aussi fait appel à des « données de vie réelle » pour une étude épidémiologique qu’elle présente au congrès de l’ESMO. Elle s’est intéressée aux cholangiocarcinomes intra-hépatiques (iCCA), des cancers rares, des voies biliaires, qui se développent dans le foie. 

Les cancers du foie sont à 80 % des carcinomes hépatocellulaires (CHC). Dans les registres départementaux des cancers en France, les 20 % restants sont souvent rangés dans une catégorie “fourre-tout” regroupant les cholangiocarcinomes intra-hépatiques, les métastases au foie de cancers primitifs inconnus et d’autres

explique-t-elle.

En examinant les données contenues dans les systèmes d’information des hôpitaux français, le Dr Neuzillet s’est rendu compte que ces iCCA représentaient 1 825 des quelque 2 000 ou 3 000 cas de cancers hépatiques non CHC recensés chaque année en France, ce qui est bien plus important que supposé, mais 68 % des hôpitaux ne reçoivent pas plus de deux patients par an souffrant de cette maladie. Deux tiers des patients ne reçoivent pas de traitement spécifique (chirurgie, chimiothérapie). La communication de ces résultats devrait attirer l’attention sur cette pathologie et améliorer l’orientation des malades vers des centres spécialisés où ils pourront bénéficier de traitements appropriés.

Cindy Neuzillet