Projet

Comédications et cancer

L'incidence du cancer augmente avec l'âge, tout comme l'incidence de nombreuses autres maladies chroniques, telles que le diabète, l'hypertension ou les maladies cardiovasculaires. La comorbidité est définie comme la "coexistence de troubles en plus d'une maladie primaire d'intérêt". Il a été démontré que les comorbidités influencent les antécédents, les décisions de traitement du cancer ainsi que la survie à court et à long terme.  Parallèlement, on s'intéresse de plus en plus aux comédications - c'est-à-dire aux médicaments utilisés de manière chronique - qui peuvent influencer le risque de cancer ainsi que sa progression.

 

Des preuves épidémiologiques ont rapporté des liens entre certains médicaments tels que l'aspirine ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et une diminution du risque de cancer. D'autres, comme les statines, les AINS, les bêtabloquants (BB) et la metformine, ont été associés à une diminution de la récidive du cancer ou à une amélioration de la survie après le cancer.

 

Nous avons analysé rétrospectivement l'essai clinique randomisé REMAGUS02 (chimiothérapie néo adjuvante (NAC) pour le cancer du sein +/- célécoxib) en fonction du statut d'activation des COX évalué par l'expression de PTGS2. Nous avons trouvé une interaction significative entre l'expression de PTGS2 et le célécoxib sur le pronostic ; et nous avons mis en évidence un effet paradoxal inattendu : les patientes du groupe PTGS2-low du bras célécoxib avaient une EFS et une OS altérées par rapport au bras standard, alors qu'aucune association n'a été observée dans le groupe PTGS2-high (Hamy et al., 2019).

 

Dans une cohorte de 1023 patientes atteintes d'un cancer du sein et traitées par chimiothérapie néoadjuvante (NAC), nous avons systématiquement analysé les comédications concomitantes sur la densité des lymphocytes infiltrant la tumeur (TIL) et les réponses complètes pathologiques (pCR). La densité des TIL avant la NAC était augmentée par les médicaments ciblant le système nerveux dans les cas de cancers du sein triple négatif (TNBC), et l'utilisation de psycholeptiques était indépendamment associée à une réponse complète pathologique. Ces expériences ont été reproduites chez des souris porteuses de BC, où les psycholeptiques ont réduit la croissance tumorale et augmenté l'activité anticancéreuse du cyclophosphamide de manière dépendante des cellules T (Hamy et al., 2019).

 

Nous avons lancé un programme de recherche confirmatoire, visant à analyser les relations entre les comorbidités, les comédications, l'infiltration immunitaire, la réponse au traitement dans un large ensemble de données de patientes atteintes de cancer du sein (projet COMBIMMUNO). Plusieurs cohortes indépendantes issues d'essais internationaux (EORTC 10994/BIG 1-00 n=1856) ou nationaux (PACS-08, PACS-09, n≈1000), de cohortes en vie réelle (cohorte CANTO n≈10 000, cohorte de l'hôpital St Louis) ont été analysées. Une méthodologie statistique robuste a été développée par Aurélien Latouche (U900, méthodologie statistique pour la médecine de précision) pour prendre en compte à la fois les facteurs de confusion et l'agrégation de données hétérogènes.  Une vaste analyse intégrative est actuellement menée sur la cohorte regroupée de cet ensemble de données mixtes.

 

Par ailleurs, l'assurance maladie française collecte en routine les remboursements de soins de près de 98% de la population : résumés hospitaliers, affections de longue durée, soins ambulatoires (consultations médicales, achats de médicaments sous prescription...) et état des décès. Le projet ADRENALINE (Atlas for DRug and brEast caNcer survivAL INtEraction) analyse l'impact des comédications au diagnostic sur la survie du CB sur une cohorte française à partir des données de la sécurité sociale française.

Sur une cohorte de 235 375 patients BC traités en France de 2011 à 2017, nous avons identifié les prises de comédications délivrées en pharmacie les 6 mois précédant le diagnostic de BC.

 

image groupe Reyal

 

Nous avons analysé l'impact des comédications sur la survie globale, après ajustement sur plus de 100 variables confondantes : facteurs sociaux, comorbidités et autres comédications, et en utilisant deux méthodes d'ajustement : La pondération de la probabilité inverse du traitement (IPTW) et l'appariement.  Parmi les 219 médicaments sélectionnés, 91 et 171 ont passé le test de qualité de l'ajustement pour l'IPTW et l'appariement, respectivement. L'ensemble des résultats est disponible sur une application web.

 

image groupe Reyal

 

Lien vers le site : adrenaline.curie.net

 

Parmi les principaux résultats, plusieurs médicaments ou classes de médicaments ont été associés à une meilleure survie : inhibiteurs de la pompe à protons (IPTW ; HR=0,93 ; p=0,002) ; statines (par exemple rosuvastatine, IPTW, HR=0,65, p<0,001) ; agents bêta-bloquants (aténolol, IPTW, HR=0,78, p=0,003) ; alvérine (IPTW, HR=0,78, p<0,001). À l'inverse, les agonistes des récepteurs de l'imidazoline peuvent être délétères (moxonidine ; appariement ; HR=2,12 ; p = 0,001).

 

Nous avons construit un programme de recherche translationnelle de criblage de médicaments impliquant plusieurs équipes de l'Institut Curie :

  • Equipe Thierry Dubois, BCBG, "biologie du cancer du sein",
  • Equipe Anabelle Ballesta, Unité INSERM 900 "Pharmacologie des Systèmes Cancéreux".
  • Plateforme de criblage de médicaments Biophenics, Elaine Del Nery

 

Sur la base de ces données épidémiologiques, ainsi que de l'analyse des voies biologiques, nous avons sélectionné 50 médicaments qui seront testés sur des lignées cellulaires de cancer du sein triple négatif. Le programme de dépistage des médicaments sera lancé en janvier 2022.

 

Les futurs programmes de recherche porteront sur les données du SNDS sur le cancer de l'ovaire, et sur d'autres localisations cancéreuses (cancer du poumon, mélanome, rein) en 2022.