Portrait - Nadine Andrieu, cheffe de l’équipe Épidémiologie génétique des cancers

28/08/2018
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Prédire plutôt que soigner : c’est le maître mot de cette généticienne qui a choisi d’étudier les cancers du sein héréditaires et l’analyse des données statistiques pour mieux évaluer les risques individuels.

Nadine Andrieu

« Quand j’ai commencé dans le monde de la recherche, les connaissances sur les prédispositions génétiques au cancer du sein étaient encore balbutiantes », raconte Nadine Andrieu, cheffe de l’équipe Épidémiologie génétique des cancers (Inserm/Institut Curie). Au début des années 90, les gènes BRCA1 et BRCA2 venaient tout juste d’être découverts

Ces deux gènes qui resteront longtemps les deux seuls gènes de prédisposition aux cancers du sein et de l’ovaire identifiés font figure d’épée de Damoclès pour les femmes porteuses d’une altération de l’un ou l’autre. Ils augmentent en effet le risque de développer ces deux cancers.

L’identification de ces gènes et les possibilités offertes par la génétique ont toutefois permis de proposer un suivi adapté. « C’était déjà un progrès pour ces femmes chez qui on pouvait ainsi repérer très tôt la survenue d’un cancer, mais une estimation individualisée du risque était impossible et chez la grande majorité des femmes aucune « mutation » de ces deux gènes n’était trouvée » se remémore Nadine Andrieu. Ce constat est inconcevable pour la chercheuse qui se lance alors dans la quête de nouveaux gènes, et d’autres facteurs de risque : c’est l’étude GENESIS débutée en 2007. « Nos travaux montrent que le risque du cancer du sein se révèle complexe à évaluer : au-delà de la susceptibilité génétique connue donc identifiable, un grand nombre d’autres facteurs comme des facteurs génétiques résiduels, des facteurs environnementaux ou de style de vie, entrent en jeu » décrit Nadine Andrieu. Comme toute étude épidémiologique, c’est un travail de longue haleine qui commence. Il faut trouver les financements, obtenir les accords et collecter toutes les informations sur les modes de vie : prises d’hormones contraceptives ou en traitement de la ménopause, consommation de cigarettes et d’alcool, âge au 1er enfant et le nombre d’enfants, l’allaitement etc. Petit à petit le risque se précise et cela grâce au travail en réseau et à des collaborations internationales.

Des premiers indices...

Le risque dépend de la nature et de la localisation de la mutation sur les gènes BRCA1 et BRCA2 : certaines localisations entraînant un risque plus faible de cancer du sein et par contre un risque plus élevé de cancer de l’ovaire et d’autres localisations, l’inverse. Il a été également montré que des facteurs génétiques résiduels appelés SNP, pour polymorphismes nucléotidiques, combinés, pourraient être suffisamment importants pour être utilisés dans la prédiction du risque. Aujourd’hui, une cinquantaine de variants génétiques ont été trouvés associés au risque de cancer du sein chez les femmes porteuses d’une mutation BRCA1 ou BRCA2.

Récemment il a aussi été montré dans une étude prospective internationale que la prise de contraceptifs oraux ne semblait pas augmenter le risque de cancer du sein chez les femmes porteuses d’une altération sur les gènes BRCA1 ou BRCA2. Seulement ces études n’ont pas assez de recul pour évaluer les risques à plus long terme. Des études complémentaires sont donc nécessaires pour affiner les connaissances sur le risque individuel de développer une tumeur.

... et d’autres pistes

La chercheuse a par ailleurs un autre cheval de bataille : le gène ATM qui, hérité muté du père et de la mère, est responsable de l’Ataxie-Télangiectasie , une maladie rare de l’enfant, caractérisée par un déficit immunitaire sévère et un handicap moteur progressif dû à la dégénérescence des neurones du cervelet. Les porteurs de cette pathologie ont aussi un risque plus élevé de développer des cancers (35% à l’âge de 20 ans) et les mères d’enfants atteints semblent avoir un risque plus élevé de cancer du sein comparé à celui de la population générale. Avec son équipe, en collaboration avec Dominique Stoppa-Lyonnet, cheffe du service de génétique, et les oncogénéticiennes et oncogénéticiens du groupe Génétique et Cancer (Unicancer), elle a donc mis en place, il y a plus de 15 ans, une cohorte nationale prospective de femmes et d’hommes apparentés à un enfant atteint de cette maladie et depuis fin 2017, également de femmes et d’hommes de familles pour lesquelles une mutation du gène ATM a été identifiée via des protocoles de recherche comme TUMOSPEC. Car comme le souligne Nadine Andrieu « Malgré la faible prévalence de l’Ataxie-Télangiectasie, la fréquence des personnes porteuses d’une altération sur l’un des deux gènes ATM dans la population générale peut atteindre 1%, ce qui laisserait présager que le nombre de personnes pouvant développer un cancer du sein associé à cette altération pourrait atteindre 150 000 à 300 000 femmes en France. »  

Nadine Andrieu retourne donc devant son ordinateur, son lieu de prédilection. La paillasse n’est qu’un lointain souvenir pour cette biologiste en raison de ses deux mains gauches dit-elle ou plutôt de son talent évident pour faire parler les chiffres et les informations génétiques.

Parcours

1990 : chercheure INSERM dans l’unité Epidémiologie de cancers (Inserm/Gustave Roussy)

1993 : chercheure dans l’unité Biostatistiques de l’Université de Cambridge (Angleterre)

2001 : direction du groupe « Génétique Epidémiologie des Cancers » au sein du service de Biostatistiques, Institut Curie.

2008 : direction de l’équipe « Génétique Epidémiologie des Cancers » au sein de l’unité Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie (Inserm/Institut Curie/Université PSL)

Depuis 2004 : membre du comité stratégique épidémiologique et de la commission scientifique pharmacologie, épidémiologie et santé publique de la Ligue Nationale contre le Cancer.