Portrait - Dominique Stoppa-Lyonnet, au service des femmes prédisposées

10/09/2018
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Si elle a fait de l’écoute et de l’accompagnement les femmes prédisposées au cancer son métier, le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet ne cesse par ailleurs de veiller aux dérives éthiques et sociétales et aux risques de détresse que peut engendrer la médecine prédictive.

DSL

Près de 5% des cancers surviennent dans un contexte de prédisposition génétique. Aujourd’hui l’orientation vers les consultations de génétique des familles où un risque élevé semble exister est presque entrée dans la pratique médicale courante, mais cela ne doit pas faire oublier que ces connaissances sont récentes et encore parcellaires : la découverte du 1er gène de prédisposition au cancer du sein ne date que de 1994. Il a fallu beaucoup de détermination et de volonté à Dominique Stoppa-Lyonnet, aujourd’hui professeur à l’université Paris Descartes, pour créer à l’Institut Curie, en 1991, l’une des premières consultations de génétique dédiées aux prédispositions aux cancers du sein. Aujourd’hui le service de génétique de l’institut Curie qu’elle dirige réalise chaque année plus de 2 800 consultations et 2 300 tests génétiques liés au syndrome seins-ovaires, ce qui en fait le 2e centre en termes de consultations et 3e en nombre de tests.

Des certitudes et beaucoup de questions

Si une prédisposition au cancer du sein ou de l’ovaire est identifiée chez une personne via la mise en évidence d’une altération dans un gène de prédisposition (BRCA1, BRCA2, PALB2, …), des tests ciblés sur cette altération peuvent être proposés aux membres de la famille pour déterminer s’ils sont porteurs de cette mutation. Un suivi adapté est alors proposé aux femmes porteuses d’une prédisposition. Dominique Stoppa-Lyonnet accompagne les femmes dans cette période : pour certaines il s’agit d’annoncer à l’ensemble de la famille la mauvaise nouvelle, pour d’autres de décider si oui ou non elles vont faire le test, quant à celles chez qui une prédisposition a été découverte, il faut apprendre à vivre avec cette épée de Damoclès.

« Le suivi proposé dans un contexte de prédisposition dépend de l’histoire personnelle et familiale. Chaque femme fait son choix entre surveillance ou prévention chirurgicale »

En France 10 % des femmes optent pour une mastectomie.

Médecine prédictive : mythe ou réalité ?

Le déploiement de l’oncogénétique soulève nombre d’interrogations comme la possibilité de voir un jour la médecine préventive prendre une place de plus en plus importante. En effet, l’interprétation des informations contenues dans nos gènes permet de mieux comprendre les mécanismes des maladies et donc, à terme, de mieux les traiter, voire de les prévenir.

« Ce sont des sujets sur lesquels il faut s’interroger. D’autant plus que l’amélioration des techniques laissent entrevoir un possible élargissement des indications de tests. La personne malade pourrait ne plus être la seule porte d’entrée il pourrait s’adresser à des personnes indemnes, à la population générale. »

Cet espoir de la médecine préventive nécessite d’intégrer pleinement les enjeux éthiques et sociétaux qu’ils recouvrent et d’avoir une estimation précise des risques individuels, estimation prenant en compte des facteurs modificateurs, génétiques ou non, dont le panorama n’est pas encore complet, une réflexion à laquelle le Pr Dominique Stoppa-Lyonnet participe activement.

La brevetabilité du vivant en question

Dominique Stoppa-Lyonnet n’en est pas à son premier combat éthique : fin des années 90, c’est elle qui avait lancé la contre-attaque contre Myriad Genetics, une société essentiellement centrée sur le diagnostic, qui venait de déposer des brevets couvrant l'ensemble des utilisations potentielles des gènes BRCA1 et BRCA2. « En cas de victoire, c’est toute le marché des tests génétiques qui tombaient dans leur escarcelle, avec en parallèle des doutes quant à la poursuite des recherches sur ces gènes et des questions vis-à-vis de l’accès aux informations », explique-t-elle.

Cette levée de bouclier de l’oncogénéticienne a porté ses fruits puisqu’en octobre 2001, l'Institut Curie, l'Institut Gustave-Roussy et l'Assistance Publique-Hôpitaux de Paris et de nombreux autres opposants européens déposent des oppositions sur les brevets détenus par Myriad Genetics. S’en suit une bataille juridique désormais célèbre qui met Dominique Stoppa-Lyonnet sur le devant de la scène et une fin heureuse puisqu’en juin 2013 la Cour suprême américaine décide d’invalider les brevets non seulement ur les gènes BRCA1 et BRCA2 mais sur l’ensemble des gènes du vivant

Mais le combat n’est jamais fini pour la généticienne qui a très tôt anticipé le rôle qu’allait jouer les bases de données pour la recherche et qui se penche aujourd’hui sur leurs enjeux et les questions qu’elles soulèvent.