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COVID-19 : 4 questions au Pr Nathalie Cassoux

25/03/2020
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Participer à l’effort collectif et rester mobilisés pour les patients atteints de cancers : deux priorités majeures de l’Institut Curie face à l’épidémie actuelle de COVID-19. Le Pr Nathalie Cassoux revient sur les mesures en place au sein du département de chirurgie de l’Institut Curie et nous donne les informations relatives à la prise en charge des cancers de l’œil pendant l’épidémie.

Nathalie Cassoux

Quelle est la situation au niveau du département de chirurgie oncologique pour faire face à la crise ?

L’Institut Curie accueille habituellement environ 13 000 actes par pour des chirurgies oncologiques sur ses deux sites hospitaliers : Paris et Saint-Cloud (sénologie, gynécologique, ophtalmologique, cutané, ORL et cervico-faciale, sarcomes et tumeurs complexes, digestive…).

Dès les premières alertes de l’épidémie, en concertation avec la direction générale de l’Ensemble Hospitalier, il a été décidé de déprogrammer les chirurgies non urgentes (chirurgies froides, tumeurs bénignes, reconstructions…). Ceci a permis d’absorber l’afflux des patients atteint de COVID-19 et la saturation francilienne des unités de réanimation jusqu’au pic de l’épidémie. L’Institut Curie a de ce fait participé à l’effort collectif en prenant en charge dans son unité de soins intensifs des patients infectés par le COVID-19.

Actuellement, il semble que nous arrivions au plateau, il est donc temps de reprendre progressivement l’activité chirurgicale en commençant par les patients pouvant être opérés en ambulatoire. Il est en effet très important que les patients atteints de cancer n’aient pas de perte de chance et ce même en période épidémique car cette dernière est partie pour durer. La prise en charge de la chirurgie lourde reste encore limitée par l’occupation des lits de soins intensifs par les patients COVID-19. Cependant, la chirurgie lourde s’est tout de même poursuivie grâce à l’action majeure des équipes d’anesthésie dans leur ensemble qui ont organisé le réveil avec quelques places de soins intensifs pour les patients chirurgicaux.

Aujourd’hui, nous devons nous préparer dans la durée pour prendre en charge des patients atteints de cancers nécessitant une chirurgie qu’ils soient ou non infectés par le virus. Deux circuits séparés ont été identifiés. Une salle du bloc opératoire a été équipée pour pouvoir opérer des patients infectés dont la chirurgie ne peut attendre. Des lits d’hospitalisations distincts ont également été identifiés pour la prise en charge de ces deux catégories de patients. Une politique de dépistage systématique des patients chirurgicaux a été mise en place. Si le patient est testé COVID-19 positif, son dossier est revu avec le chirurgien référent et si c’est urgent et ne peut être reporté, le patient sera opéré dans le circuit ad hoc.

On assiste dans cette période à une baisse du nombre de nouveaux patients qui sont soit confinés chez eux soit ont peur de consulter. Il faut rassurer les patients, des mesures strictes ont été mises en place pour les protéger. En revanche, ne pas consulter pour un cancer, c’est risquer de consulter trop tard, de perdre une chance d’être traité au stade précoce et de guérir.

Comment s’organise le suivi des patients dans ce contexte ?

Chaque dossier médical fait l’objet d’un examen collégial. Les consultations de surveillance qui ne sont pas foncièrement indispensables sont décalées. Certaines spécialités, tout particulièrement en sénologie, mettent en place des téléconsultations. Pour les consultations à risque (et qui ne peuvent pas se faire à distance), notamment l’ORL et l’ophtalmo, les médecins privilégient au maximum les échanges via Internet (envoi du dossier au préalable avec le plus d’informations, de données d’imageries, y compris des photos prises avec des smartphone… pour éventuellement ne pas faire venir le patient). Pour les consultations qui doivent avoir lieu, les protections sont renforcées tant au niveau des équipements que des procédures de désinfection.

Vous êtes spécialiste en ophtalmologie, qu’en est-il de la prise en charge des cancers de l’œil en conditions d’épidémie ?

Chez l’adulte, le mélanome de l’uvée est la tumeur oculaire la plus fréquente. C’est un cancer rare, chimio-résistant. Ces patients - qui ne sont donc pas soignés par chimiothérapie - ne présentent pas d’aplasie et n’ont donc pas de risque accru vis-à-vis du covid-19. Concernant le rétinoblastome, il s’agit d’un cancer de la rétine qui touche les enfants, le plus souvent avant l’âge de 5 ans. Pour des raisons que la communauté scientifique internationale ne connait pas encore, les enfants ne contractent pas de forme grave après une infection au covid-19, y compris lorsqu’ils sont atteints d’un cancer. En oncologie ophtalmologique, le covid-19 n’a donc pas d’impact sur la maladie et les recommandations visent à limiter les déplacements toujours pour limiter l’exposition et optimiser les échanges, notamment au sein du réseau national MELACHONAT coordonné par l’Institut Curie sous l’égide de l’Inca. Les enfants présentant une leucocorie (reflet blanc dans la pupille) ou un strabisme doivent consulter en urgence près de chez eux unophtalmologiste. Une webconférence internationale a été mise en place pour les enfants confinés dans leur pays d’origine en raison de la fermeture des frontières pour tâcher de poursuivre la continuité des soins.

Un message pour conclure ?

Les patients atteints de cancers ne doivent pas pâtir de l’épidémie de COVID-19 et ne doivent pas avoir de perte de chance. L’Institut curie reste mobilisé pour les prendre en charge.

La mobilisation des équipes soignantes est majeure dans cette période difficile, tous les personnels du département quel que soit leur poste donnent leur maximum pour garantir une prise en charge de qualité dans ces conditions très compliquées, c’est cela aussi « l’esprit curie ».