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Covid-19 : risques et précautions pour les femmes traitées pour un cancer du sein

26/03/2020
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Chef adjoint du département d’oncologie médicale de l’Institut Curie, le Dr Paul Cottu répond aux questions que les patientes atteintes d’un cancer du sein et leurs proches peuvent se poser.

Paul Cottu

Quelles dispositions avez-vous pris pour les patientes qui devaient être opérées pour une tumorectomie ou une mammectomie alors que le confinement a été décrété ?

Dr Paul Cottu : Rappelons pour commencer qu’à ce jour, il nous a été clairement notifié par le Ministère et l’ARS que notre mission prioritaire reste de prendre en charge les patients atteints de cancer. Dans ce cadre, nous avons mis en œuvre une vaste politique d’adaptation des parcours de soin, pour le cancer du sein comme pour les autres cancers.

Pour la chirurgie
Dès les premières alertes de l’épidémie, en concertation avec la Direction générale de l’Ensemble hospitalier, le Département de chirurgie a déprogrammé les chirurgies non urgentes (chirurgies froides, tumeurs bénignes, reconstructions…). A l’heure actuelle, environ 30% de l’ensemble des interventions chirurgicales ont été déprogrammées. Toutes les patientes concernées sont informées. Les chirurgiens prennent le temps de leur expliquer individuellement la situation et de les rassurer sur les mesures prises. Les cancers urgents sont pris en charge et des mesures de précaution encore plus strictes avant, pendant et après chaque opération ont été prises. En particulier, des interrogatoires systématiques la veille des interventions et/ou à l’arrivée à l’hôpital sont menés pour bien vérifier que les patientes ne présentent pas de signes cliniques d’une infection potentielle au Covid-19, auquel cas elles sont opérées dans un autre centre parisien. (lire l’interview du Pr Nathalie Cassoux, cheffe du Département d’oncologie chirurgicale)

Les patientes traitées en ce moment en chimiothérapie ou radiothérapie ou qui viennent de terminer leur traitement ont-elles une immunité fragilisée face au coronavirus Covid-19 ?

Dr Paul Cottu : Le Covid-19 est un virus que nous n’avons jamais connu auparavant. Malgré les études lancées très rapidement, nous n’avons pas suffisamment de connaissances sur ce virus, ses éventuelles interactions avec les traitements et les traitements anticancéreux en particulier. Ce que nous estimons aujourd’hui sera peut-être modéré voire démenti demain. Les premières données dont la communauté médicale et scientifique dispose suggèrent que la fragilité des patients est bien en premier lieu déterminée par leur terrain personnel (âge, tabagisme) qu’au cancer lui-même ou ses traitements. Mais de jour en jour, de nouvelles données sont partagées entre les professionnels. Chez les femmes traitées pour un cancer du sein, l’immuno-dépression est en général assez modeste. Le caractère potentiellement grave de l’infection Covid19 sera évalué au cas par cas, selon des recommandations établies et partagées avec nos collègues des autres centres et nos collègues infectiologues et réanimateurs. Les malades atteints de cancer du poumons ou cancers ORL sont quant à eux généralement plus fragilisés.

Les patientes en radiothérapie poursuivent-elles leur traitement ?

Pour la radiothérapie :
Toutes les patientes poursuivent leur traitement par radiothérapie programmé à l’Institut Curie.
Sur le site de Paris de l’Ensemble hospitalier, une salle de traitement est dédiée aux traitements des patientes et des patients Covid+ afin d’assurer la continuité des soins dans le plus strict respect des recommandations.

Les patientes qui suivaient une chimiothérapie en hôpital de jour poursuivent-elles leur traitement ?

Dr Paul Cottu : Dans tous les services d’oncologie médicale, des mesures ont été prises pour limiter le plus possible les déplacements à l’hôpital et de respecter le confinement lorsqu’un autre type de prise en charge peut être proposé. Pour les chimiothérapies à l’hôpital de jour, comme pour les consultations, qui doivent impérativement avoir lieu à l’Institut Curie, nous avons mis en place des mesures d’éviction des accompagnants - sauf évidemment pour les situations humainement les plus délicates, comme les malades très fragiles ou qui ne peuvent être seuls – ceci afin de limiter le plus possible la promiscuité au sein de l’hôpital, de protéger les patients, leurs proches et les personnels.
Par principe de précaution, et dans certains cas limites, il est possible que l’on décale les traitements qui ne sont pas urgents, nous en discutons avec les patientes. C’est par exemple le cas de certaines indications de chimiothérapie adjuvante préconisées en temps normal pour diminuer le risque de récidive, et dont nous révisons désormais l’indication au cas par cas. Par ailleurs, nous transférons un grand nombre de traitements à domicile, là aussi pour limiter les déplacements des patients.

Et pour les patientes qui avaient une consultation médicale prévue pour un renouvellement d’ordonnance ?

Dr Paul Cottu : A l’Institut Curie, nous contactons tous nos patients la veille de tout rendez-vous et nous étudions la situation au cas par cas. Nous avons développé au maximum nos téléconsultations pour les visites de suivi, le renouvellement d’ordonnances de chimiothérapies orales peut être envoyé par courrier et nous déléguons ce qui peut l’être en hospitalisation à domicile. A ce jour, nous estimons que plus de 50% des consultations sont déjà menées à distance.

Les traitements s’accompagnent souvent de prise de cortisone contre les douleurs inflammatoires. Faut-il continuer la cortisone?

Dr Paul Cottu : La cortisone diminue les défenses immunitaires si le traitement corticoïde est pris depuis plusieurs semaines. Arrêter le traitement n’est pas possible chez toutes les patientes, le bénéfice de l’arrêt est évalué, au cas par cas, au regard de l’état médical de chacune. Nous avons aussi mis en place une politique de diminution des doses et durées de corticothérapie encadrant les chimiothérapies. Elle est aussi bien sûr adaptée au cas par cas.

Les anciennes malades avec un cancer du sein en rémission ou les personnes guéries présentent-elles des risques particuliers?

Dr Paul Cottu : Pour tous les patientes qui ont terminé leurs traitements anticancéreux, il n’y a aucun risque particulier : leur état physiologique est normal, elles ne sont donc pas plus « à risque » que l’ensemble de la population.

Et les anciennes malades ou les femmes qui sont sous hormonothérapie ?

Dr Paul Cottu : Pour les femmes qui aujourd’hui sont uniquement sous hormonothérapie : il n’y a aucun lien démontré entre hormonothérapie et risque d’infection virale. Il n’y a pas plus de risque d’être plus sensible à une infection, ni qu’elle soit plus grave si on en est atteint.

Et les thérapies ciblées ?

Dr Paul Cottu : C’est différent, il y a quelques thérapies ciblées (ex : everolimus) et immunothérapies (ex : atezolizumab) pour lesquelles nous sommes déjà vigilants car certaines induisent une fragilité pulmonaire. Certes, elles n’augmenteraient pas le risque d’être infecté mais si l’infection survient, elle risque d’être plus agressive.

Nous préconisons l’arrêt de tout traitement par everolimus, et une évaluation au cas par cas de l’indication de l’atezolizumab (immunotérapie) ou des inhibiteurs du cycle cellulaire. De même, les inclusions dans les essais cliniques sont pratiquement toutes suspendues, sauf cas particulier de recours thérapeutique majeur.

Un mot de conclusion

Dr Paul Cottu : Nous connaissons une situation médicale sans précédent, qui a obligé les centres de lutte contre le cancer comme l’Institut Curie à une réorganisation profonde et immédiate. Celle-ci s’est faite en quelques jours grâce à une collaboration extraordinaire entre tous les métiers de l’hôpital. Dans les jours et les semaines à venir, nous allons nous focaliser sur une double mission : continuer avec la meilleure qualité/sécurité possible le soin des patientes et des patients atteints de cancer, parmi lesquels ceux atteints du covid-19.