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Décrypter la formation de vésicules au plus près des membranes

09/06/2020
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Au niveau des membranes cellulaires, des complexes protéiques appelés ESCRTs (« escortes ») permettent notamment de détacher des vésicules dans des compartiments cellulaires ou de faire sortir des virus de la cellule.

Patricia Bassereau

L’équipe de Patricia Bassereau du laboratoire Physico-chimie Curie (UMR 168, Institut Curie, CNRS, Sorbonne université) a observé l’assemblage de certaines de ces « escortes » et leurs effets sur la déformation ou non des membranes. Elle dévoile dans Nature Communications le 29 mai 2020 des résultats totalement inattendus… permettant de mieux appréhender des phénomènes biophysiques fondamentaux qui interviennent lors des infections virales, des divisions cellulaires ou du développement embryonnaire.

Endocytose et exocytose sont les phénomènes par lesquels les cellules sont capables de faire entrer ou sortir des molécules ou des particules. C’est par exemple le cas de virus comme le VIH capables de produire dans les cellules leur capside virale qui doit être enveloppée de la membrane cellulaire avant de sortir des cellules pour poursuivre l’infection de leur hôte (pour d’autres virus tels que le SARS-CoV-2, d’autres mécanismes sont en jeu).

La formation d'une vésicule implique différentes phases : déformation de la membrane, forte constriction au niveau du « cou » de la vésicule et coupure (aussi appelée fission) qui la détache. Or, la fission membranaire met en jeu des complexes protéiques appelés ESCRTs. Il s’agit de protéines très conservées qu’on retrouve depuis les archaebactéries jusque dans les cellules humaines. Elles sont impliquées dans de nombreuses fonctions cellulaires : trafic intracellulaire, cytokinèse, exocytose, réparation membranaire… Si ces « escortes » semblent spécialisées dans la déformation et la fission membranaire par leur assemblage à l'intérieur du "cou", le fonctionnement de ces protéines reste encore à élucider.

L’équipe de Patricia Bassereau du laboratoire Physico-chimie Curie (UMR 168, Institut Curie, CNRS, Sorbonne université) a cherché à observer l’assemblage de certaines de ces protéines ESCRTs sur des membranes déformables et à examiner l’effet de la courbure des membranes sur leur recrutement. Jusqu’à présent, les travaux avaient été menés sur des membranes non déformables (des bicouches supportées sur un substrat solide).

Dans notre laboratoire, notre grande spécialité, c’est la préparation de nanotubes de membrane, c’est-à-dire des structures lipidiques très fines, donc très courbées, formées à partir de liposomes géants (voir figure ci-dessous). Grâce à ce système expérimental unique, nous avons pu observer l’assemblage de certaines protéines ESCRTs, ajoutées à l’extérieur ou à l’intérieur des nanotubes. En collaboration avec Aurélie Bertin de l'équipe "Microscopie moléculaire des membranes", nous avons également analysé l’effet induit sur la forme de liposomes et de nanotubes grâce à la cryo-microscopie électronique,

explique Patricia Bassereau, directrice de recherche CNRS et cheffe de l’équipe « Membranes et fonctions cellulaires » à l’Institut Curie.

Nos résultats sont surprenants car on pensait que ces protéines ne s’assemblaient que dans des géométries particulières rappelant le "cou" des vésicules 

Menée en collaboration avec Winfried Weissenhorn de l’Institut de Biologie Structurale (Université Grenoble Alpes, CEA, CNRS), cette étude a montré que l'ESCRT CHMP4 – qui arrive en premier au moment de la fission membranaire - n’a pas d’affinité toute seule pour les membranes courbées. Elle forme une spirale sur une surface plane et n’est pas capable, seule, de déformer une membrane. De manière surprenante, les protéines CHMP2 et CHMP3 qui polymérisent ensemble n’ont aucune affinité pour l’intérieur des nanotubes et ont tendance à s’associer à l’extérieur des tubes dans une géométrie opposée à celle attendue : en s'enroulant autour du tube. Autre surprise : en ajoutant CHMP 4 et CHMP2/CHMP3 ensemble, les images de cryo-microscopie électronique ont révélé que les protéines s’assemblaient parallèles à l’axe des tubes (voir figure ci-dessous), avec probablement des petites structures perpendiculaires qui tiennent les filaments entre eux. De plus, ces protéines sont capables de transformer un liposome sphérique en une structure qui ressemble à un « tire-bouchon » (voir figure ci-dessous).

Ces résultats soulignent le rôle polyvalent des protéines ESCRTs au niveau des membranes. L'étape suivante consistera à comprendre comment elles induisent la fission en présence de l'ATPase Vps4. La compréhension de ces phénomènes fondamentaux est essentielle pour élucider et agir par exemple sur les infections virales, sur les processus de division cellulaire et donc sur les cancers, sur le développement ou sur la réparation du noyau.

bassereau

 

 

© Institut Curie - P. Bassereau, A. Bertin, N. de Francheschi, E. de la Mora, S. Mangenot

Cette étude a combiné des techniques de microscopie électronique, de micromanipulations sous microscope confocal avec une pince optique, de microscopie à Force atomique à haute vitesse (high-speed AFM) (en collaboration avec W. Roos (Groningen, Pays-Bas). Les figures ci-dessus montrent le recrutement d'ESCRTs sur des nanotubes de membrane ainsi que l’assemblage et la forme particulière des nanotubes après ajout des protéines ESCRTs CHMP4, 2 et 3.

A: image de microscopie confocale d'un nanotube formé à partir d'un liposome géant, montrant le recrutement de CHMP2 /3 marqué en fluorescence(gauche) sur le nanotube (droite, lipides fluorescents). Barre: 5 mm

B : tomogramme de cryo-microscopie électronique montrant la structure 3D des tubes spiralés induits par les ESCRTs. Barre: 200 nm

C : reconstruction haute résolution d'un ensemble d'images de tomographie électronique montrant l’assemblage parallèle des protéines au niveau de la membrane tubulaire.

D : schéma représentant la forme caractéristique des tubes spiralés, avec en gris l’assemblage parallèle des ESCRTs.

 

Référence :

Bertin, A., de Franceschi, N., de la Mora, E. et al. Human ESCRT-III polymers assemble on positively curved membranes and induce helical membrane tube formation. Nat Commun 11, 2663 (2020).