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Mieux évaluer les toxicités pour développer des médicaments plus efficaces

09/05/2019
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Les toxicités graves des médicaments évalués dans les essais en cancérologie sont surévaluées de près de 30% selon une étude publiée par l’équipe du Pr Christophe Le Tourneau. Cela conduit à commercialiser des médicaments à des doses plus faibles et donc moins efficaces.

Christophe Le Tourneau

Plusieurs étapes jalonnent le parcours d’un nouveau médicament avant sa commercialisation. « L’une des étapes les plus importantes est la première administration chez des patients, ce que l'on appelle les essais de phase I « first-in-human », explique le Pr Christophe le Tourneau, chef du D3i (Département d‘Essais Cliniques Précoces) à l’Institut Curie.

Ces essais de phase I « first-in-human » consistent à démarrer avec une faible dose de médicament, puis à l’augmenter de façon progressive chez les patients. Le principal objectif est d’étudier la tolérance au médicament et in fine de définir les doses optimales pour le développement du futur médicament. Une étape cruciale puisque les seules données disponibles avant de démarrer ces essais sont les données de toxicité chez l'animal. Or, ce dernier n’est malheureusement pas un modèle parfait de ce qui peut survenir chez l'homme.

Là où les choses se compliquent, c’est qu’en cancérologie, ces essais se font chez des personnes atteintes de cancer, ce qui n’est pas le cas dans les autres domaines de la médecine. En conséquence, il faut être très vigilant tout au long du processus quant aux symptômes et anomalies biologiques que les patients peuvent développer. Ils peuvent correspondre à des toxicités induites par le médicament administré, mais également être liés à la pathologie elle-même ou à d’autres médicaments pris en parallèle, pour soulager les douleurs par exemple. Tout l’enjeu est de déterminer avec précision l'imputabilité de ces symptômes et les anomalies biologiques. Cette évaluation réalisée au quotidien par les médecins du D3i à l'Institut Curie est cruciale.

Toute erreur de jugement peut avoir des conséquences graves, souligne le Pr Christophe Le Tourneau. Affirmer que des symptômes ou anomalies biologiques sont liés à la maladie alors qu'ils sont liés au médicament peut conduire à continuer d'augmenter la dose du médicament alors qu'elle est en réalité très toxique. A l'inverse, affirmer qu’ils sont liés au médicament alors qu'ils sont liés à la maladie peut conduire à recommander une dose sous-optimale du médicament potentiellement moins efficace qu'une dose que l'on aurait pu augmenter. 

Le Pr Christophe Le Tourneau a souhaité évaluer dans quelle mesure des erreurs d'imputabilité étaient réalisées. Pour cela, il a repris, avec son équipe, les essais de cancérologie comparant un nouveau médicament avec un placebo seul (ce qui est éthiquement acceptable lorsqu’il n'existe plus d'alternative chez les patients). Dans les 51 essais analysés, ils ont relevé les toxicités rapportées dans les publications selon que le patient recevait un médicament actif ou un placebo (ni celui-ci, ni le médecin ne savaient quel traitement il avait reçu). Ainsi, évaluer les toxicités rapportées dans le groupe placebo (en théorie sans toxicité) a permis d'évaluer les erreurs d'imputabilité.

L’étude, publiée le 9 mai 2019 dans The New England Journal of Médicine conclut que les toxicités graves sont surévaluées de près de 30% et que les toxicités peu graves sont surévaluées de près de 65%. Aussi, les doses recommandées des médicaments sont très probablement souvent sous-estimées, ce qui peut conduire, pour un certain nombre de médicaments, à commercialiser des médicaments à des doses plus faibles et donc potentiellement moins efficaces.

Ces résultats soulignent l'expertise nécessaire pour développer de nouveaux médicaments en cancérologie  

conclut le Pr Christophe Le Tourneau.

Les essais de phase I « first-in-human » nécessitent des structures et des équipes expertes qui doivent obtenir une autorisation de la Haute Autorité de Santé (HAS), ce qui est le cas de l'Unité d'Investigation Clinique du site Paris au sein du Département d'Essais Cliniques Précoces (D3i) dirigée par Le Pr Christophe Le Tourneau. L'INCa délivre également un label tous les 5 ans depuis 2009 pour la réalisation d'essais cliniques précoces dont ces fameux essais de phase I first-in-human, label que le D3i a également obtenu pour le 3e fois consécutive en 2019.
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