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Une équipe de l’Institut Curie décroche un « trône de fer »

15/07/2019
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Partout présente mais toujours mystérieuse, la protéine CD44 vient de révéler ses secrets à l’équipe de Raphaël Rodriguez : elle jouerait un rôle dans le transport du fer à l’intérieur des cellules. Une découverte qui rebat les cartes du métabolisme de ce métal et notamment de son rôle dans le cancer.

Raphaël Rodriguez, Institut Curie

160 téléchargements de la publication et plus de 800 lectures de l’abstract (résumé, en français) en moins de 48 heures ! Les récents résultats de l’équipe de Raphaël Rodriguez, à l’Institut Curie, passionnent la communauté scientifique internationale.

C’était le but poursuivi par le chercheur en révélant en ligne (sur une plateforme destinée aux biologistes) cette vaste étude, et ce, avant toute publication dans une revue scientifique :

Nos résultats en eux-mêmes touchent à de nombreux domaines, de la biochimie à l’épigénétique (cf. plus loin) ; et les enjeux de nos découvertes sont multiples, de la cancérologie à l’industrie cosmétique. Il est donc difficile de les faire publier dans des revues qui sont souvent trop spécialisées mais nous voulions les mettre à disposition des chercheurs pour qu’ils soient connus et utilisés dès que possible 

explique-t-il.

Le jeune chef d’équipe s’intéresse depuis longtemps à une glycoprotéine (protéine associée à des glucides) appelée CD44. Celle-ci a déjà été beaucoup étudiée. Sa présence a été repérée dans de nombreux organes : des ovaires au foie, en passant la prostate ou le pancréas… Elle est aussi impliquée dans des processus biologiques variés : développement embryonnaire, inflammation, réponse immunitaire, cancer… Dans le cancer plus particulièrement, elle serait associée à l’apparition de métastases et de récidives ! Mais comment ? Raphaël Rodriguez et ses collègues ont enfin trouvé la réponse.

CD44 serait impliquée dans l’endocytose du fer, c’est-à-dire la pénétration du fer à l’intérieur des cellules. Un résultat d’autant plus inattendu qu’il n’y avait jusqu’ici qu’un seul mécanisme connu pour cette endocytose du fer, qui s’appuyait sur une protéine spécifique, la transferrine, qui transporte le fer, et son récepteur correspondant, TfR1, comme un port de déchargement de ce fer à la surface des cellules.

Lorsque des cellules cancéreuses acquièrent un caractère métastatique, ce nouveau type de transport du fer, lié à CD44, serait même dominant, ont mis en évidence les chercheurs. Et ce fer, une fois à l’intérieur des cellules, agit en qualité de catalyseur, nécessaire pour déverrouiller l’expression de certains gènes. En effet, dans les cellules normales, des protéines appelées histones, liées à l’ADN et chimiquement modifiées, réduisent certains gènes au silence. Sous l’effet du fer, ces marques dites « épigénétiques », disparaîtraient. Or, les chercheurs développent déjà des molécules capables de bloquer ce transport du fer à l’intérieur de la cellule. Les perspectives de ces découvertes fondamentales dans la lutte contre le cancer sont donc à portée de main.

Ces travaux sont aussi le couronnement d’une expertise de longue date à l’Institut Curie, notamment celle de Jean-Paul Thiery, ancien directeur du département de recherche translationnelle, d’Edith Heard, directrice d’une unité de recherche, Professeure au Collège de France et de de Geneviève Almouzni, directrice honoraire du centre de recherche, toutes deux spécialistes de l’épigénétique,

Raphaël Rodriguez espère donc que ces révélations l’aideront à poursuivre ses recherches et inciteront d’autres équipes à le contacter pour explorer d’autres aspects de ces travaux : dans l’immunité par exemple, puisque CD44 y est aussi impliqué, ou pourquoi pas en cosmétique puisque le mécanisme d’endocytose du fer via CD44 implique aussi l’acide hyaluronique, déjà célèbre pour ses propriétés « rajeunissantes » sur la peau et dont le mode d’action est ainsi mieux connu.

NB : Cette étude n’a pas encore été publiée et le preprint est disponible ici

CD44 regulates epigenetic plasticity by mediating iron endocytosis

Sebastian Müller, Fabien Sindikubwabo, Tatiana Cañeque, Anne Lafon, Antoine Versini, Bérangère Lombard, Damarys Loew, Adeline Durand, Céline Vallot, Sylvain Baulande, Nicolas Servant, Raphaël Rodriguez