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mécanique, cancer et l’embryogenèse

24/01/2017
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Emmanuel Farge fait figure de pionnier dans l’étude des mécanismes mécano-sensibles dans le monde du vivant. Avec son équipe, il resserre les liens entre contraintes mécaniques et expression des gènes.

Emmanuel Farge

Sur quoi porte votre dernière découverte ?

Emmanuel Farge : Nous avons déclenché mécaniquement le processus qui initie la morphogenèse embryonnaire de tout organisme animal, la gastrulation. Nous partageons en effet avec l’ensemble des animaux cette étape cruciale qui initie le développement embryonnaire animal depuis plus de 800 millions d’années. Au cours de la gastrulation, se forment de larges domaines de tissus qui s’internalisent dans l’embryon précoce, souvent sous forme de tubes. Ils constitueront, à terme, les organes internes de l’animal adulte, tels que le tube digestif, le cœur, les muscles, les reins et les poumons pour les organismes les plus complexes.

Dans l’embryon de drosophile, le premier de ces tubes, le mésoderme, donnera naissance à tous les organes internes de l’organisme adulte, excepté le tube digestif. Il se forme suite à la stabilisation d’un moteur moléculaire, Myo-II, qui contracte la surface externe du tissu et, par là même, induit la courbure du tissu vers l’intérieur pour former le tube de tissu interne mésodermal. En mimant les pulsations des cellules du mésoderme qui précèdent sa formation tubulaire (sa gastrulation), dans un mutant défaillant en pulsations et qui ne "gastrule" plus, on a rétabli sa gastrulation. On a ainsi déclenché mécaniquement le processus qui initie la morphogenèse embryonnaire de tout organisme animal.

Comment avez-vous procédé ?

E.F. : Dans un mutant dont les cellules du mésoderme ne fluctuent plus, nous avons donc mimé ces fluctuations dont l’amplitude est de l’ordre de 500 nanomètres seulement, par voie magnétique. Pour cela, nous avons injecté dans les cellules du mésoderme des liposomes magnétiques, puis approché un réseau de micro-aimants dont la taille individuelle, 10 microns, s’apparente à celle des cellules individuelles. Le champ magnétique local de ces micro-aimants ayant la particularité d’être modulable dans le temps, nous avons ainsi pu faire osciller les champs magnétiques, de telle sorte que les cellules se mettent à pulser, exactement comme dans l’embryon non muté. En réponse à cette stimulation mécanique, nous avons observé la stabilisation de Myo-II et le déclenchement de l’invagination du mésoderme. Cette stimulation se fait par l’activation mécanique de réactions biochimiques, que nous avons identifiées comme étant l’activation de la voie de signalisation Fog.

De tels phénomènes se retrouvent-ils lors du développement d’une tumeur ?

EF : Intuitivement il parait évident que le développement d’une tumeur exerce une force sur les tissus avoisinants. Donc toujours en utilisant des aimants, nous avons mimé dans des tissus sains les forces mécaniques induites par une tumeur sur les tissus alentours. Après deux semaines d’une telle contrainte mécanique, on a pu voir une augmentation de la phosphorylation (i.e. l’activation) de la béta-caténine ainsi que sa relocalisation dans le noyau des cellules où elle active alors des oncogènes qui favorisent la croissance tumorale. Et dans le modèle de cancer du côlon que nous avons étudié, cette pression entraîne la formation de foyers d'anomalies au niveau des cryptes du côlon, ce qui correspond aux premières étapes de la transformation tumorale. Les contraintes mécaniques anormales, activatrices de biomolécules tumorales, apparaissent comme un nouveau rouage possible de la progression et de l’invasion tumorale (1).