Présentation

Les travaux de recherche de notre équipe portent sur le neuroblastome, un cancer pédiatrique du système nerveux sympathique périphérique, un tissu dérivé des cellules de crêtes neurales. Cette tumeur solide est responsable de 15% des décès par cancer chez l’enfant et la survie à long terme des patients présentant un phénotype clinique à haut risque reste inférieure à 40%. Nos travaux visent à mieux comprendre la biologie de ce cancer et les mécanismes de l’oncogenèse afin de définir de nouvelles approches thérapeutiques pour améliorer le pronostic des enfants atteints par les formes graves.
L’étude des altérations génétiques spécifiques du neuroblastome a révélé en 2008 des mutations activatrices du gène ALK dans un ensemble de neuroblastomes sporadiques et familiaux (Janoueix-Lerosey et al, Nature, 2008) (Figure 1). Cette découverte a constitué une avancée majeure dans la compréhension de la maladie et a ouvert la voie à des traitements ciblés.

Figure 1 : Mutations du récepteur tyrosine kinase ALK dans le neuroblastome. Les deux hotspots de mutations dans les formes sporadiques correspondent aux résidus F1174 et R1275. TM : domaine transmembranaire, TK : domaine tyrosine kinase. Adaptée de « Le gène ALK (anaplastic lymphoma kinase), un nouvel acteur majeur du neuroblastome. Isabelle Janoueix-Lerosey, Olivier Delattre. Médecine/Sciences n° 4, vol. 25, avril 2009.
Le gène ALK code pour un récepteur tyrosine kinase qui est préférentiellement exprimé dans le système nerveux central et périphérique. Pour mieux comprendre l’impact des mutations du gène ALK dans le développement de la maladie, nous avons généré des modèles murins génétiquement modifiés exprimant les mutations du gène Alk équivalentes à celles observées chez les patients (Cazes et al, Oncotarget, 2014). Nous avons ainsi montré que ces mutations perturbent le développement du système nerveux sympathique chez les animaux Knock-In (KI), qui présentent une augmentation de la taille du ganglion cervical supérieur et du ganglion stellaire du stade embryonnaire E12.5 à l’âge adulte. L’analyse du transcriptome de ces ganglions a révélé un excès de prolifération des neurones sympathiques à la naissance chez les mutants. Ces résultats constituent des éléments clés permettant de mieux comprendre le rôle des mutations germinales du gène ALK dans la prédisposition au neuroblastome. Néanmoins, ces mutations du récepteur Alk ne sont pas suffisantes pour induire des tumeurs chez la souris. Afin d’évaluer le potentiel oncogénique des mutations du récepteur Alk murin, nous avons croisé les lignée KI Alk avec des souris transgéniques TH-MYCN, surexprimant l’oncogène MYCN sous le contrôle du promoteur de la tyrosine hydroxylase. Ces dernières développent des neuroblastomes mimant ceux observés chez les enfants, avec une pénétrance incomplète et une latence de plusieurs semaines. Nos résultats ont mis en évidence une coopération oncogénique entre les deux altérations génétiques et démontré que le potentiel oncogénique de la mutation F1178L (F1174L chez l’homme) est supérieur à celui de la mutation R1279Q (R1275Q chez l’homme).
Néanmoins, les altérations génétiques ne sont pas suffisantes pour expliquer la biologie du neuroblastome. Afin d’améliorer notre compréhension des formes de haut risque, nous avons par la suite exploré le paysage épigénétique et le profil transcriptomique de lignées cellulaires de neuroblastome et de cellules de crête neurale. Ce travail a révélé que les cellules du neuroblastome peuvent présenter deux identités différentes, appelées noradrénergique (NOR) et mésenchymateuse (MES) (Boeva et al, Nat Genet., 2017) (Figure 2a). Les cellules des deux identités présentent des différences notables dans leur comportement in vitro, notamment en termes de résistance à la chimiothérapie et de capacités de migration. Nous avons ensuite caractérisé le réseau de facteurs de transcription associé à l’identité NOR, incluant les facteurs PHOX2B, HAND2 et GATA3 (Figure 2b), connus comme facteurs clés de la spécification des neurones sympathiques noradrénergiques dans le développement normal.

Figure 2 : (a) Identification des identités noradrénergique et mésenchymateuse dans les lignées de neuroblastome par analyse des Super-Enhancers révélés par ChIP-seq de la marque H3K27ac. hNCC: human Neural Crest Cells. (b) Réseau des facteurs de transcription associé à l’identité noradrénergique. Publication : Boeva et al., Nature Genetics, 2017.
Dans plusieurs modèles cellulaires de neuroblastome, nous avons documenté une plasticité spontanée et réversible entre les deux identités, associée à une reprogrammation épigénétique (Thirant et al, Nat Commun. 2023). Nos données actuelles démontrent que des facteurs intrinsèques et des signaux provenant du microenvironnement dictent l’identité cellulaire dans ce cancer pédiatrique. Nous caractérisons donc l’hétérogénéité intra-tumorale, à la fois en ce qui concerne les cellules tumorales mais aussi les cellules du microenvironnement tumoral pour décrypter les interactions entre ces deux compartiments qui contribuent à un écosystème favorable à la progression tumorale. Nous combinons l’analyse de modèles cellulaires, de PDXs et d’échantillons tumoraux de patients pour adresser ces questions et utilisons différentes approches Omics (RNA-seq, au niveau Bulk et single-cell, ChIP-seq,..) via les plateformes technologiques de l’Institut Curie ainsi que des approches fonctionnelles. Le matériel de patients est obtenu grâce à notre collaboration avec le Dr Gudrun Schleiermacher et les cliniciens du centre SIREDO de l’Institut Curie.
L’analyse du microenvironnement tumoral, réalisée à l’aide d’une une cohorte de 10 patients atteints de neuroblastome (Figure 3) et du modèle murin transgénique immunocompétent TH-MYCN a révélé des caractéristiques d’immunosuppression, incluant des lymphocytes T dysfonctionnels et des cellules immunosuppressives, avec l’identification d’une population de MDSCs (Myeloid Derived Suppressor Cells, aussi appelées Tumor-Associated Neutrophils) dont l’activité immunosuppressive a été démontrée dans un test ex vivo (Costa et al, J Immunother Cancer, 2022).

Figure 3 : Caractérisation du microenvironnement tumoral dans une cohorte de 10 patients atteints de neuroblastome par analyse du transcriptome sur cellules uniques. NK : Natural Killer ; TANs : Tumor-Associated Neutrophils ; CAFs : Cancer-Associated Fibroblasts ; cDC2 : cellules dendritiques conventionnelles type 2. Publication : Costa et al, J Immunother Cancer, 2022.
Chez les patients, les lymphocytes T intra-tumoraux expriment fréquemment les protéines TIGIT et LAG3, des molécules de la famille des points de contrôle (checkpoint) immunitaires. Une collaboration avec l’équipe de Jan Molenaar aux Pays-Bas, qui a également observé une expression de TIGIT dans les lymphocytes de patients atteints de neuroblastome, a montré que le blocage combiné de TIGIT et de PD-L1 réduit significativement la croissance tumorale dans plusieurs modèles pré-cliniques de neuroblastome (Wienke et al, Cancer Cell, 2024). Ces données démontrent l’intérêt du développement en clinique d’anticorps anti-TIGIT comme nouvelle approche d’immunothérapie dans le neuroblastome de haut risque.
Les travaux de notre équipe s’articulent actuellement autour de trois axes de recherche (Figure 4) :
1. L’hétérogénéité intra-tumorale et la plasticité cellulaire ;
2. L’écosystème tumoral et les interactions entre cellules tumorales et microenvironnement ;
3. Le rôle des oncogènes MYCN et ALK dans le développement du système nerveux sympathique et l’initiation tumorale.

Figure 4 : Les projets de recherche de l’équipe ont pour objectif de mieux comprendre la biologie et l’oncogenèse du neuroblastome, pour proposer à terme de nouvelles stratégies thérapeutiques plus efficaces pour les enfants atteints de neuroblastome de haut risque.