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ADN tumoral circulant : un révélateur de tumeurs

12/04/2018
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Au Congrès annuel de l’American Association for Cancer Research, Marc-Henri Stern et Gudrun Schleiermarcher ont présenté deux avancées autour de l’ADN tumoral circulant.

AA CR - Charlotte Proudhon et Marc-Henri Stern

De l’ADN de chacune de nos cellules circule en petite quantité dans notre sang. En cas de cancer, de l’ADN tumoral s’y retrouve également. On parle d’ADN tumoral circulant, ou ADNtc. Détecter cet ADNtc et l’analyser est devenu possible grâce aux techniques récentes de séquençage. Reste à développer des outils pour mettre à profit ces techniques sur le plan médical. Le décryptage de cet ADNtc pourrait ainsi permettre :

  • de dépister un cancer avant ses premiers symptômes ;
  • après le diagnostic, de caractériser une tumeur plus précisément pour déterminer le pronostic de la maladie et faire des choix thérapeutiques adaptés ;
  • pendant la prise en charge, de suivre l’efficacité des traitements : si l’ADN tumoral circulant est moins abondant, c’est que la tumeur régresse.

Et, surtout, ces informations pourraient être obtenues de façon simple et peu invasive : à partir d’une simple prise de sang plutôt que de réaliser biopsies ou autres examens lourds (IRM, scintigraphie…).

Marc-Henri Stern présente une nouvelle technique d’analyse de l’ADNtc permettant de caractériser les cancers. Il s’agit de détecter "l’instabilité des microsatellites", une anomalie de l’ADN qu’on retrouve dans certains cancers. Ce nom étrange désigne des séquences de quelques "lettres" de l’alphabet de l’ADN répétées (AAAAAAA ou ATATATATAT, par exemple). On en trouve un peu partout dans notre génome. Ces séquences n’ont pas de rôle connu, mais on sait qu’elles sont le siège de nombreuses erreurs lors de la réplication (la copie de l’ADN qui précède toute division cellulaire). Dans une cellule normale, ces anomalies seront repérées et réparées par des processus naturels de contrôle. Quand ce n’est pas le cas, on parle d’instabilité des microsatellites, et celle-ci est associée à certains cancers. Aujourd’hui, on connaît des méthodes pour identifier ces instabilités dans les cellules tumorales, à partir d’un prélèvement de la tumeur (biopsie) ; ces anomalies étaient cependant impossibles à détecter à partir de l’ADNtc, faute de quantités suffisantes dans le sang. Mais Marc-Henri Stern et ses collègues ont développé une technique qui apparaît cent fois plus sensible que les moyens actuels, tout en étant rapide et peu coûteuse. Leur innovation, qu’ils ont brevetée, est d’autant plus attendue sur le plan médical qu’on sait déjà que ces cancers peuvent bénéficier de traitements personnalisés.

 

 

De l’intérêt de l’ADNtc en pédiatrie


Le Dr Gudrun Schleiermacher, pédiatre et chef d’une équipe de recherche à l’Institut Curie, s’est elle aussi intéressée à l’ADN tumoral circulant (ADNtc). « On guérit aujourd’hui 80 % des cancers pédiatriques mais dans 20 % des cas, on n’a pas les moyens de soigner ces enfants : on ne peut pas augmenter les doses aujourd’hui utilisées en chimiothérapie et radiothérapie. Il faut donc développer les nouvelles approches et notamment trouver des altérations moléculaires qui peuvent être la cible de traitements innovants », explique-t-elle. Premier défi : les cancers de l’enfant ne possèdent que très peu d’altérations de l’ADN récurrentes. Il faut donc chercher dans l’ensemble des gènes une multitude d’anomalies potentielles. Autre défi commun à tous les cancers : les altérations de l’ADN tumoral se modifient au cours du temps. Il faudrait donc pouvoir suivre pendant la maladie l’apparition de nouvelles anomalies susceptibles d’entraîner des résistances aux traitements, pour changer alors de stratégie thérapeutique. D’où l’intérêt, donc, de détecter ces anomalies de l’ADN tumoral dans une simple prise de sang, à partir de l’ADNtc. C’est ce que le Dr Schleiermacher et son équipe sont parvenus à faire. "Quand nous avons lancé le projet, il y a deux ans, personne n’était parvenu à séquencer l’ensemble des gènes à partir de l’ADNtc extrait d’un échantillon sanguin chez l’enfant. Nous avons développé notre propre technique pour le faire et l’avons fait pour 30 jeunes patients dans le cadre d’une étude clinique. Nous avons retrouvé de l’ADN tumoral dans l’ensemble des échantillons et nous avons pu suivre l’évolution de la quantité d’ADN et donc voir le recul de la maladie au cours des traitements à partir de simples prises de sang. Enfin, nous avons aussi mis en évidence de nouvelles mutations apparues chez les enfants en cas de rechute. Nous allons pouvoir maintenant mieux les caractériser", détaille encore le Dr Schleiermacher. Cette étude a déjà servi de base à un programme appelé MICCHADO, initié et coordonné par le Dr Schleiermacher. Il consiste à étendre cette première étude pour permettre cette analyse chez tous les patients pédiatriques ou adolescents pris en charge dans un centre spécialisé en France et atteints d’un cancer pédiatrique de haut risque. "Ainsi nous pourrons suivre des anomalies génétiques au cours de la maladie et mieux caractériser ces cancers sur le plan moléculaire et immunologique afin de pouvoir développer pour ces enfants des nouvelles stratégies thérapeutiques y compris traitements ciblées, et immunothérapies, éventuellement dès la première ligne, et les mieux adaptés", conclut le Dr Schleiermacher.

 

Crédit photos : Alexandre Lescure et Christophe Hargoues / Institut Curie