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COVID-19 : l’Institut Curie mobilisé pour accueillir des patients Covid positifs en réanimation

21/04/2020
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Interview du Pr Gilles Dhonneur, chef du Département Anesthésie – Réanimation – Douleur et Sylvie Arnaud, directrice des Soins.

Equipe SSPI

Pendant le premier mois de l’épidémie COVID-19 en France, l’Institut Curie a été protégé par l’ARS d’Ile-de-France (IdF) qui a proposé que l’Ensemble Hospitalier se concentre sur le traitement du cancer, notamment en réalisant les interventions carcinologiques urgentes. Face à la déferlante de malades et au manque de lits de réanimation dans les hôpitaux publics de la région, l’ARS-IdF a finalement demandé à l’Institut, le 1er avril, d’ouvrir son secteur de réanimation à la prise en charge des patients Covid+ non atteints de cancer.*  

Le Pr Gilles Dhonneur, chef du Département Anesthésie – Réanimation – Douleur et Sylvie Arnaud, directrice des Soins, expliquent l’impact de ce changement sur l’activité et l’organisation de toute la structure.

Comment vous êtes-vous organisé pour satisfaire la demande de l’ARS ?

Gilles Dhonneur : Nous avions les informations précises sur l’évolution de la demande de lits en soins critiques, nous nous sommes donc préparés à restructurer les unités du Département Anesthésie – Réanimation – Douleur (DARD) pour accueillir en toute sécurité des patients graves infectés par le coronavirus. Nous avons réduit de moitié l’activité chirurgicale du bloc pour dédier des personnels paramédicaux et médicaux à la prise en charge des patients COVID-19 en défaillance respiratoire. D’ordinaire, nous sommes capables de prendre en charge 50 à 60 opérations par jour. Dans la situation que nous traversons, nous avons réduit volontairement ce chiffre à environ 25.

Sylvie Arnaud : Nous nous étions préparés par différents scénarii que nous avions établis avec les équipes médicales. Le premier avril, nous avons donc partitionné notre salle de réveil (Salle de surveillance post-interventionnelle ou SSPI) en trois secteurs COVID-19 free. Un premier pour assurer le réveil pédiatrique et ambulatoire, un second destiné au postopératoire de la chirurgie conventionnelle et enfin un secteur critique destiné aux patients nécessitants soit du fait de leur chirurgie majeure, soit du fait de leur terrain altéré, une surveillance intensive postopératoire.

Gilles Dhonneur : Sur les trois structures de l’Ensemble Hospitalier (Saint-Cloud, Paris et Orsay), seul le site parisien a accueilli des malades Covid+ non cancéreux en réanimation pour participer à l’effort solidaire sollicité par l’ARS-IdF et ainsi aider les services publiques et privés de la région parisienne à faire face à la demande de lits de réanimation.

Sylvie Arnaud : Avec les équipes médicales nous nous sommes organisés pour faire du site de Saint-Cloud un site d’anesthésie et réveil COVID-19 free. Nous avons d’ailleurs accompagné et rendu possible la stratégie médicale qui consistait à réaliser des interventions chirurgicales pour cancer d’hôpitaux partenaires et de l’AP-HP débordés par la prise en charge des patients COVID-19 réanimatoires.

Du point de vue infectieux, la prise en charge de patients contagieux n’est pas la même que celle de patients sains. Comment vous êtes-vous préparés à cette nouvelle contrainte ?

Gilles Dhonneur : Dès le 4 mars, suite aux informations fiables de certains épidémiologistes et en concertation avec les responsables médicaux des services et unités du DARD et de la direction des Soins, nous avons élaboré, comme l’a dit Sylvie, différents schémas afin de pouvoir faire face à toutes les situations possibles. Nous avons dressé un plan d’entraînement des personnels allant de l’habillage spécifique Covid-19 (équipements de protection individuelle) pour les soignants, aux techniques de réanimation de tels patients. Nous avons identifié les situations et gestes techniques à risque d’exposition lors des soins. Nous avons rédigé des procédures spécifiques de soins et de traitement des patients positifs à COVID-19. Nous avons présenté ces procédures et nous sommes assurés qu’elles étaient comprises et maitrisées. Nous avons également répertorié toutes les situations critiques exposant les soignants, les patients malades COVID-19 et les malades du cancer non infectés par le coronavirus, afin d’éviter la transmission nosocomiale. Nous avons entrainé les équipes en simulant la prise en charge et les soins des patients COVID-19. Nous avons équipé notre unité des moyens nécessaires de protection individuelle avec l’équipe Opérationnelle en hygiène (EOH).

Dans le prolongement de notre unité de réanimation COVID-19, nous avons créé une unité capable de recevoir et de prendre en charge : 1- les patients chirurgicaux infectés COVID-19 qui deviendraient oxygéno-requérants ou 2- les patients précédemment réanimatoires en cours d’amélioration mais continuant de nécessiter l’administration d’oxygène et une surveillance rapprochée. Cette unité initialement ouverte avec 5 lits a progressivement eu une capacité d’accueil de 12 lits.

Que peut-on dire à nos patients atteints de cancer et devant subir une intervention chirurgicale lourde et urgente pour les rassurer, à la fois, sur le risque encouru en se rendant à l’hôpital et sur la qualité des soins reçus ?

Gilles Dhonneur : L’hôpital s’est organisé en filières hermétiques et étanches afin que les patients COVID-19 négatifs ne croisent pas les patients infectés. Tous les patients admis ont fait l’objet d’un tri initial par les infirmières leur imposant de suivre des parcours fléchés en fonction : de leur état clinique, des résultats d’un interrogatoire succinct, et de la prise de température et de saturation en oxygène. Schématiquement, chaque établissement de l’Ensemble Hospitalier a été structuré en deux modules : l’un COVID-19 positif et l’autre COVID-19 négatif. Seule la négativité du tri initial et de la recherche de COVID-19 dans le nasopharynx négatif autorisait la programmation des patients au bloc opératoire.

Sylvie Arnaud : J’ajouterai que, malgré des ruptures annoncées des équipements de protection, comme les masques de soins ou les masques FFP2, l’hôpital a pu être masqué dès le début du confinement et l’ensemble des protections a été mise en place afin de protéger les soignants mais aussi les patients. Toute cette organisation nous a permis de répondre aux impératifs de l’ARS en prenant des patients en détresse vitale non atteint d’un cancer tout en poursuivant simultanément les traitements urgents et nécessaires pour les malades du cancer, que ce soit pour la chirurgie ou la chimiothérapie.

Gilles Dhonneur : La chirurgie carcinologique simple mais urgente, les patients fragiles à risque opératoire important ainsi que les patients devant subir une chirurgie lourde impliquant un passage en soins critiques postopératoires ont continué d’être opérés en toute sécurité et en limitant au maximum le risque nosocomial, sur la plateforme des blocs opératoires de l’Institut Curie.   

Comment les soignants se sont-ils mobilisés pour répondre à cette situation inédite ?

Sylvie Arnaud : La mobilisation des médecins et des soignants a été formidable ! Nous avons réorganisé le travail de façon à ce que chacun se sente impliqué, qu’il soit sur les sites ou à distance. Il ne faut pas oublier qu’une partie des professionnels sont éloignés de l’hôpital mais toujours en lien avec les professionnels présents sur les trois sites. Certains professionnels sont passés en quelques heures d’un planning de jour à un planning de nuit et des renforts des autres centres de lutte contre le cancer (CLCC) nous ont été proposés. Nous avons accepté l’accueil d’une infirmière de bloc opératoire venant de Caen sur le site de Saint-Cloud, et d’un infirmier issu du CLCC de Bordeaux en soins intensifs à Paris.

De nombreux volontaires se sont proposés dès le début du confinement et sont venus de jour comme de nuit, pour aider les infirmiers en salle de surveillance post-interventionnelle ou en unité de soins intensifs mais aussi dans les secteurs Covid + pour lesquels plus de soignants sont requis.

Gilles Dhonneur : Nous avons reçu des renforts extérieurs, d’anciens praticiens et internes qui sont venus nous prêter main forte sur leur temps de repos. Cette situation extrêmement difficile mentalement et physiquement a généré un formidable élan de solidarité de tout le personnel soignant, toutes fonctions confondues. Les personnels paramédicaux de la salle de surveillance post-interventionnelle, du bloc opératoire et de l’unité de soins intensifs ont fait preuve d’un courage et d’une exemplarité remarquables. Ils ont travaillé sans compter, participant avec fierté à l’effort collectif et solidaire imposé par la crise sanitaire. Leur dévouement a été pour nous tous, médecin un véritable carburant. La rapidité avec laquelle ils se sont mis en ordre de bataille pour monter au front a été stupéfiante. Ils ont affronté ensemble la lourdeur de soins nouveaux et stressants avec une détermination à toute épreuve. Ils peuvent être fiers du travail accompli.  

 

* Dès le 20 avril, les activités de l’Institut Curie seront à nouveau entièrement dédiées aux patients atteints de cancer avec une capacité d’accueil maintenue dans tous les secteurs de la prise en charge. 

Comment est organisé le service de soins critiques de l’hôpital parisien de l’Institut Curie ?

En temps normal, il existe quatre niveaux de surveillance d’intensité croissante

Les soins normalisés : il s’agit d’une salle de soins simple nécessitant uniquement la présence d’une infirmière de manière intermittente.

Les soins en surveillance continue : la salle est équipée de moniteurs reliés à la salle des infirmières afin d’opérer une vigilance constante auprès de patients dont on craint la survenue d’une défaillance.

Les soins intensifs  en plus des moniteurs, les lits sont équipés d’appareils pouvant pallier les grandes fonctions organiques défaillantes, dont la fonction respiratoire, la fonction cardiaque, la fonction immunitaire…

L’unité de réanimation : il s’agit des soins intensifs équipés en plus d’un appareil de dialyse, pour les cas d’insuffisance rénale. Les équipes sont alors en capacité de répondre à toutes les urgences vitales.