Actualité

Contre sens cellulaires

23/04/2018
Partager

Les cellules se déplacent souvent en groupe. Elles empruntent parfois une stratégie les conduisant à se déplacer en sens opposés, comme l’expliquent les travaux de l’équipe PhysicoBiologie aux MésoEchelles de Pascal Silberzan.

Pascal Silberzan

Tout comme il existe plusieurs façons de marcher, les cellules peuvent se mouvoir de diverses manières. Souvent en groupe, les cellules migrent lors du développement embryonnaire ou de l'évolution tumorale. Ces migrations sont jalonnées de nombreux obstacles (vaisseaux, fibres musculaires ou nerveuses ou fibres de matrice extra-cellulaire), ce qui les oblige souvent à se déplacer dans des espaces confinés. Les physiciens de l’équipe de Pascal Silberzan (Institut Curie/CNRS/UPMC) reproduisent de manière très contrôlée les différentes conditions de déplacement pour mieux comprendre ces comportements cellulaires à l’échelle collective ou individuelle, en fonction de l’espace à leur disposition avec parfois des résultats surprenants....

Circulation à double sens pour la migration cellulaire.

« Dans de nombreux tissus biologiques, les cellules sont à haute densité dans un espace physique limité. Nous avons reproduit ce confinement en utilisant des techniques de microfabrication » explique Pascal Silberzan. Ces-modèles in vitro permettent de confiner un ensemble de cellules allongées dans des pistes dont la largeur varie d’une taille cellulaire à plus d’un millimètre. En collaboration avec une équipe du Francis Crick Institute en Grande-Bretagne, l’équipe de Pascal Silberzan a mis en évidence que suivant la largeur de la piste, les comportements diffèrent :

  • Sur les pistes plus larges que 50 µm environ, les cellules s’alignent entre elles et font spontanément un angle avec la direction de la piste. Dans le même temps, les cellules près des bords, se déplacent collectivement suivant des directions opposées, de manière antiparallèle.
  • Sur des pistes plus étroites que ce seuil de 50µm (mais toujours plus larges qu’une taille cellulaire), les cellules s'alignent parfaitement avec la direction de la bande et les déplacements antiparallèles disparaissent.

« Des déplacements cellulaires antiparallèles avaient été observés pendant le développement embryonnaire ou l'évolution tumorale, mais sans qu’on n’en comprenne ni les modalités ni la fonction », complète Guillaume Duclos, doctorant dans l’équipe au moment de l’étude. En d’autres termes, si le mouvement d’ensemble des cellules est dirigé depuis la tumeur vers le milieu extérieur, on observe également des cellules migrant dans la direction inverse, c’est à dire vers la tumeur.

Cancer Cell Silberzan

L’hydrodynamique des fluides actifs fournit un cadre permettant d’expliquer ce phénomène. Cette théorie permet de comprendre de quelle manière l’activité cellulaire induit les déplacements antiparallèles sur les pistes larges, mais aussi la transition entre la phase où les cellules présentent un angle avec la piste et des écoulements antiparallèles, et la phase ne présentant pas ces caractéristiques. Il s’agit d’une transition mécanique, contrôlée précisément par l'activité des cellules. « Cette théorie physique est très générale, elle est fondée sur la nature active des cellules, sur les symétries et les lois de conservation du système, explique le théoricien Carles Blanch-Mercader, alors doctorant dans l’équipe Approches Physiques de Problématiques Biologiques. Elle fournit donc un mécanisme très générique pour l’interprétation des observations correspondantes in vivo. »

L’interface entre physique et biologie apporte une nouvelle fois un éclairage sur un mécanisme cellulaire mal compris jusqu’à présent, en l’occurrence des déplacements cellulaires surprenants, puisqu’à contre-sens de la migration collective.

Spontaneous shear flow in confined cellular nematics.
G. Duclos, C. Blanch-Mercader, V. Yashunsky, G. Salbreux, J.-F. Joanny, J. Prost and P. Silberzan.
Nature Physics (avril 2018) doi:10.1038/s41567-018-0099-7