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- Division cellulaire : comment une modification épigénétique protège nos chromosomes
Une étude menée par l’équipe du Dr Daniele Fachinetti, directeur de recherche au CNRS et chef d’équipe à l’Institut Curie, met en évidence le rôle central de la méthylation de l’ADN dans l’organisation des centromères. Cette marque épigénétique délimite la position d’une protéine (CENP-A) indispensable à la division cellulaire. Menés en collaboration avec une équipe de l’université de Stanford aux Etats-Unis, ces travaux apportent un éclairage inédit sur les mécanismes à l’origine de l’instabilité chromosomique observée dans certains cancers. Ces résultats sont publiés dans Nature Genetics le 4 septembre 2025.
Les centromères, situés au point de jonction des bras des chromosomes, jouent un rôle essentiel dans la division cellulaire : ils assurent une répartition équitable du génome entre les deux cellules filles. Leur activité dépend notamment d’une protéine clé : CENP-A (pour CENtromeric Protein – A). Un mauvais positionnement de CENP-A peut conduire à un nombre incorrect de chromosomes dans les cellules filles au moment de la division cellulaire, un état appelé aneuploïdie qui est notamment observé dans de nombreux cancers.
Les centromères ont toujours été difficiles à étudier car ils sont constitués de séquences d'ADN longues et extrêmement répétitives. Cependant, le séquençage complet du génome humain (de télomère à télomère, T2T) achevé en 2022 a marqué le début d'une nouvelle ère dans l'étude de leur fonction. Ainsi, la séquence complète des centromères a révélé pour la première fois que CENP-A se concentre dans des zones faiblement méthylées1 des centromères mais entourées par un ADN environnant fortement méthylé. Les scientifiques de l’Institut Curie ont cherché à comprendre si ces schémas de méthylation influaient sur la position ou la fonction de CENP-A.
Des perturbations liées à la perte de méthylation
L’équipe Mécanismes moléculaires de la dynamique des chromosomes dirigée par le Dr Daniele Fachinetti à l’Institut Curie (CNRS UMR 144 et 3664) a ainsi développé des modèles cellulaires permettant d’étudier très précisément cette méthylation des centromères. Les chercheurs ont montré que cette marque épigénétique est essentielle pour maintenir CENP-A à sa place et préserver le bon fonctionnement des centromères. C’est grâce à la collaboration avec l’équipe du Dr Nicolas Altemose à l’université de Stanford (États-Unis) et l’utilisation d’une technologie de pointe (DiMeLo-seq), que les chercheurs ont pu cartographier avec une résolution inédite la position de CENP-A et ses liens avec la méthylation. Lorsque la méthylation de l’ADN centromérique disparaît, CENP-A se propage dans des zones où elle ne devrait pas se trouver, pouvant provoquer une aneuploïdie.
Mais ça n’est pas tout : les chercheurs ont également montré que, de manière indépendante, cette méthylation de l'ADN centromérique contrôle la liaison avec une deuxième protéine appelée CENP-B qui, lorsqu'elle est trop abondante, peut rendre l'ADN centromérique plus fragile et entraîner ainsi des problèmes dans la séparation des chromosomes.
Des conséquences majeures pour la stabilité du génome
Ces travaux montrent donc clairement que cette petite modification chimique de l'ADN joue un rôle très important dans la régulation de la fonction globale des centromères, ouvrant des perspectives nouvelles pour déterminer quels autres processus centromériques pourraient être directement ou indirectement contrôlés par ces schémas de méthylation.
Ces résultats lient ainsi directement des déséquilibres épigénétiques à l’instabilité chromosomique qui est observée notamment dans une maladie génétique rare : le syndrome ICF, mais aussi dans de nombreux cancers. Il est important de souligner que cette étude a également révélé que, si la perte de méthylation se produit lentement, certaines cellules peuvent s'adapter et continuer à vivre, contrairement à ce qui se passe lorsque la méthylation de l'ADN est perdue trop rapidement. Ce type de changement progressif est similaire à ce qui se produit lors du développement d'un cancer.
« Nos recherches montrent pour la première fois que la méthylation de l’ADN affecte directement la fonction des centromères. Comme la perte globale de méthylation de l’ADN est fréquente dans de nombreux cancers, ces résultats permettent de mieux comprendre comment elle peut provoquer une instabilité génomique par une altération de la fonction centromérique » souligne le Dr Daniele Fachinetti.

© Catalina Salinas Luypaert
Figure en haut : image microscopique d'un chromosome normal avec coloration par immunofluorescence pour CENP-A (jaune) et CENP-B (magenta). Juste au-dessous, le schéma représente l'ADN centromérique fortement méthylé (ronds noirs) et met en évidence la région de dip centromérique (CDR, encadré en vert), où la méthylation de l'ADN est particulièrement faible (ronds blancs). La région CDR coïncide avec la plus forte abondance de CENP-A.
Figure en bas : un chromosome après hypométhylation centromérique ciblée, représenté dans le schéma par un agrandissement de la CDR, présente des colorations par immunofluorescence plus importantes pour CENP-A et CENP-B. Cette augmentation des niveaux de protéines centromériques entraîne une altération de la structure du centromère, des erreurs de ségrégation chromosomique, aneuploïdie et, dans certains cas, la mort cellulaire.
[1] La méthylation de l’ADN est une modification épigénétique consistant en l’ajout de groupements chimiques sur l’ADN (CH3), qui n’en modifient pas la séquence mais régulent son fonctionnement.
Référence :
DNA methylation influences human centromere positioning and function - Catalina Salinas-Luypaert, Danilo Dubocanin, Rosa Jooyoung Lee, Lorena Andrade Ruiz, Riccardo Gamba, Marine Grison, Leonid Velikovsky, Annapaola Angrisani, Andrea Scelfo, Yuan Xu, Marie Dumont, Viviana Barra, Therese Wilhelm, Guillaume Velasco, Marialucrezia Losito, René Wardenaar, Claire Francastel, Floris Foijer, Geert J. P. L. Kops, Karen H. Miga, Nicolas Altemose & Daniele Fachinetti - Nature Genetics – 4 septembre 2025
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