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Les contraintes physiques de l’environnement cellulaire régulent l’immunité

13/06/2024
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Les équipes du Dr Ana-Maria Lennon-Duménil, Dynamique spatio-temporelle des cellules du système immunitaire (Inserm U932) et du Dr Matthieu Piel, Biologie cellulaire systémique de la polarité et de la division (CNRS UMR 144 / Sorbonne Université), ont publiés le 4 juin dans Nature Immunology, des résultats ouvrant la voie à une meilleure compréhension des mécanismes impliqués dans la migration des cellules dendritiques, et plus généralement, dans la régulation de l’immunité.

Les contraintes physiques de l’environnement cellulaire régulent l’immunité

Les cellules dendritiques (DC) sont une catégorie de cellules du système immunitaire dont la fonction est de patrouiller dans l’organisme à la recherche de dangers. Lorsqu’elle a fini sa patrouille, la DC transporte les échantillons collectés aux ganglions lymphatiques pour les présenter aux lymphocytes sous la forme de fragments protéiques issus de ces échantillons. Si ce processus a lieu dans un contexte « dangereux », par exemple lors d’une infection ou d’un cancer, il induira l’activation des lymphocytes qui à leur tour élimineront l’agent infectieux ou la cellule tumorale. Au contraire, s’il a lieu en absence de danger, il permettra d’inactiver les lymphocytes autoréactifs et d’éviter ainsi les réactions auto-immunes. Ce phénomène est appelé « maintenance de la tolérance du soi ».

« Afin d’assurer leurs fonctions, les DC doivent pouvoir se déplacer dans toutes les sortes de tissus qui constituent l’organisme. Des mécanismes spécialisés de détection sont présents dans les DC afin qu’elles puissent s’adapter aux contraintes physiques de leur environnement. Cette adaptation passe par l’activation de certaines voies cellulaires. Nous nous sommes demandé si l’activation de la voie de détection avait un impact sur les fonctions-mêmes des DC. » explique le Dr Zahraa Alraies, autrice des travaux et ancienne postdoctorante à l’Institut Curie, dans l’équipe d’Ana-Maria Lennon-Duménil.

Les guides de la migration cellulaire

Dans leurs précédents travaux, les équipes de Matthieu Piel et Ana-Maria Lennon-Duménil avaient démontré que la déformation de la cellule, et plus précisément du noyau, induisait un changement de vitesse des DC. Ces travaux inédits avaient permis d’établir un premier lien entre les forces mécaniques qui s’exercent sur les DC et leur activité de surveillance et migration.

Dans ces travaux-ci, les chercheurs ont décortiqué la voie de signalisation assurant la détection des contraintes physiques environnementales. L’activation de cette voie de signalisation aboutit à deux phénomènes : d’une part, une augmentation de la vitesse de migration des DC et de leur directionnalité, et d’autre part une augmentation de l’expression d’un récepteur de surface nommé CCR7 qui guide les DC aux ganglions lymphatiques. Ensemble, ces deux processus vont permettre la migration homéostatique[1] des DC.

« Pendant des décennies, la communauté scientifique a essayé de comprendre quelles molécules biochimiques permettaient la migration des DC en conditions d’homéostasie. Cependant, nos travaux suggèrent que celle-ci répond aux contraintes physiques de l’environnement. » poursuit Zahraa Alraies.

Réaction immunitaire, tolérance et l’équilibre entre les deux

La migration homéostasique des DC vers les ganglions est essentielle pour maintenir la tolérance immunitaire, limitant les réactions contre les éléments non pathogènes. Ainsi, les fonctions des DC participent à préserver cet équilibre entre la tolérance et la réaction immunitaires, et donc plus largement, notre immunité. Les résultats publiés dans cet article montrent que les propriétés physiques de nos tissus participent à ce phénomène, dans des conditions d’homéostasie. Mais cela pourrait être également le cas dans certaines maladies, comme le cancer. En effet, les tumeurs solides sont associées à une rigidification des tissus, et donc, très probablement, à une déformation accrue des DC qui circulent, modifiant leur comportement de migration, et ainsi, l’équilibre entre la tolérance et la réaction immunitaire.

« Comprendre comment cette modification des propriétés physiques influencent les réponses immunitaires pourrait, par exemple nous permettre de comprendre pourquoi les réponses immunitaires contre les cancers ne fonctionnent pas toujours de façon efficace. Cette ligne de recherche très prometteuse peut également s’étendre aux vaccinations, où l’injection même de la substance produit une pression mécanique dans les tissus, ou aux maladies auto-immunes par exemple, qui peuvent se développer à la suite d’une rupture entre l’équilibre entre la réaction immunitaire et la tolérance. De très nombreuses voies d’exploration s’ouvrent ! » conclut Zahraa Alraies.

 

Légende image : Immunomarquage de CCR7 (en rouge) dans des cellules dendritiques confinées.

Ces résultats ont été obtenus notamment grâce au financement de l’ERC Synergy pour le Project 101071470 – SHAPEINCELLFATE.

Références : Zahraa Alraies, Claudia A. Rivera, Maria-Graciela Delgado, Doriane Sanséau, Mathieu Maurin, Roberto Amadio, Giula Maria Piperno, Garett Dunsmore, Aline Yatim, Livia Lacerda Mariano, Anna Kniazeva, Vincent Calmettes, Pablo J. Sàez, Alice Williart, Henri Popard, Matthieu Gratia, Olivier Lamiable, Aurélie Moreau, Zoé Fusilier, Lou Crestey, Benoit Albaud, Patricia Legoix, Anne, S. Dejean, Anne-Louise Le Dorze, Hideki Nakano, Donald N Cook, Toby Lawrence, Nicolas Manel, Federica Benvenuti, Florent Ginhoux, Hélène D. Moreau, Guilherme P.F. Nader, Matthieu Piel and Ana-Maria Lennon-Duménil

Cell Shape Sensing Licenses Dendritic Cells for Homeostatic Migration to Lymph Nodes. Nature Immunology (4 juin 2023). doi : 10.1038/s41590-024-01856-3

Lien : https://www.nature.com/articles/s41590-024-01856-3

 

[1] Conditions homéostasiques (vis-à-vis du système immunitaire) : quand l’organisme n’est pas activement engagé contre une infection ou une inflammation