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Exploiter la chimie du fer pour battre le cancer

04/01/2022

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Les travaux menés à l’Institut Curie par l’équipe de Raphaël Rodriguez « Chimie et biologie du Cancer » ont révélé un nouveau point d’entrée pour induire la mort des cellules à potentiel métastatique en lien avec le métabolisme du fer. Avec Marcus Conrad, pionnier de la ferroptose, et Stuart Schreiber, fondateur de la chemical biology moderne, ils conceptualisent ensemble de nouvelles approches thérapeutiques dans un article publié dans Molecular Cell.

Le fer est un élément abondant dans nos cellules. Il est impliqué dans un grand nombre de mécanismes essentiels à leur fonctionnement ; par exemple au niveau des mitochondries pour la production d’énergie, au niveau de nos globules rouges pour la respiration, au niveau de la réplication ou la réparation de l’ADN ou même de la régulation épigénétique de l’expression de nos gènes, etc. Dans ce contexte, le métabolisme du fer est soumis à des régulations importantes et certaines dérégulations sont délétères pour les cellules. Mais surtout, il reste encore à décrypter le métabolisme du fer dont on sait qu’il joue un rôle majeur dans la progression du cancer.

« Les espèces qui survivent ne sont pas les espèces les plus fortes, ni les plus intelligentes, mais celles qui s'adaptent le mieux aux changements. » Ce dicton prononcé Charles Darwin illustre le comportement de certaines cellules qui, en fonction de leur état, sont capables d’échapper aux traitements conduisant ainsi à des résistances et récidives.

« Faire »… pencher la balance vers la mort cellulaire par ferroptose

En 2020, l’équipe « Chimie et biologie du cancer » menée par Raphaël Rodriguez, directeur de recherche CNRS à l’Institut Curie, a levé le voile sur des mécanismes spécifiques liés au fer capables de « reprogrammer » certaines cellules, les rendant métastatiques et résistantes aux traitements conventionnels. Ainsi, ces cellules « persistantes » acquièrent un avantage clonal grâce au fer. Mais, dans le même temps, la présence de fer dans ces cellules favorise certaines réactions chimiques, notamment l’apparition de lipides peroxydés qui, si elle n’est pas contrôlée, devient létale pour la cellule (mort par ferroptose). Sous l’action du fer, ces cellules sont à la fois résistantes aux traitements conventionnels et à la fois plus vulnérables à la mort par ferroptose. Comment faire pencher la balance et éliminer de telles cellules qui sont potentiellement à l’origine de récidive ?

« Dans les conditions « normales », certaines cellules s’adaptent, échappent au traitement et deviennent métastatiques sous l’action du fer. Au sein de mon équipe, au croisement de la chimie et de la biologie, nous avons pour ambition de décrypter cette chimie du fer afin de développer des molécules qui vont pouvoir amplifier certaines réactions – par exemple la quantité de lipides peroxydés – et conduire à la mort des cellules », explique Raphaël Rodriguez.

Des petites molécules anti-tumorales nouvelle génération

Les chercheurs tentent de mieux comprendre ce processus de mort cellulaire qu’est la ferroptose afin d’identifier de nouveaux biomarqueurs et développer des thérapies innovantes contre le cancer. Et pour profiter de la réactivité du fer et éliminer les cellules persistantes, ou les sensibiliser aux thérapies conventionnelles, les scientifiques proposent deux angles d’attaque :

  • La cellule, pour se protéger de la péroxydation lipidique, met en place des mécanismes de protection en faisant entrer du soufre dans la cellule, sous forme d’un acide aminé : la cystine. Ainsi, une option consiste à bloquer les protéines qui permettent l’entrée du soufre dans les cellules (via des inhibiteurs de la molécule GPX4). Les lipides peroxydes s’accumulent alors dans les cellules qui finissent par mourir.
  • Une autre piste consiste à manipuler le fer pour le conserver au niveau des lysosomes, des vésicules dans la cellule chargée entre autre de « distribué » le fer dans la cellule. Or, une accumulation de fer dans les lysosomes augmentera notamment la production de lipides peroxydes et tuera rapidement les cellules.

« C’est donc un même élément chimique, le fer, qui permet à la fois de survivre au traitement conventionnel qu’on utilise en clinique mais qui, dans le même temps les rend vulnérable à des molécules qui ne sont pas encore en clinique et que nous développons. Comprendre que la mortalité des cellules dépend de leur sous-types et de leur état est primordial pour agir au niveau thérapeutique »

conclut Raphaël Rodriguez.

Illustrant le potentiel thérapeutique de cette stratégie, l’équipe de Raphaël Rodriguez vient de produire de nouveaux dérivés de produit naturels qui ciblent préférentiellement l'état mésenchymateux (métastatique) des cellules cancéreuses ou bloquent l’acquisition de cet état.

 

Schéma publication Rodriguez

Référence :

Persister cancer cells: iron addiction and vulnerability to ferroptosis. Raphaël Rodriguez, Marcus Conrad, Stuart L Schreiber. Molecular Cell, 28 décembre 2021. https://doi.org/10.1016/j.molcel.2021.12.001

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