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Révolution technologique : l’innovation chimique au service du « séquençage de nouvelle génération » (Next-Generation Sequencing = NGS)

16/11/2023
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Fruit de la résolution d’une série de défis technologiques, le Next-Generation Sequencing (NGS) a révolutionné le travail de la communauté scientifique. Le Dr Raphaël Rodriguez, chef de l’équipe de Chemical Biology (CNRS UMR3666 / Inserm U1143) à l’Institut Curie en raconte la genèse dans un article paru dans Nature Biotechnology le 16 octobre dernier.

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En 2005, la société britannique Solexa*, basée à Cambridge (UK), utilise pour la première fois sa nouvelle technologie de NGS afin de décrypter de manière ultra rapide et avec une précision sans égal la séquence génomique du bactériophage phiX174. Aujourd’hui, de nombreuses équipes de l’Institut Curie exploitent cette technologie en recherche fondamentale et appliquée, notamment pour caractériser la biologie des cancers. Le NGS permet d’obtenir rapidement les génomes et transcriptomes précis des cancers, grâce à une chimie de terminaison réversible et à la microscopie de fluorescence sur molécule unique. Avant d’y parvenir, les chercheurs de Solexa ont dû relever plusieurs défis majeurs.

Premier défi : développer un groupement protecteur réversible pour l’une des extrémités de l’ADN et une série de bases fluorescentes pour leur détection après incorporation par synthèse.

Une approche innovante a permis de mettre au point le NGS tel que nous le connaissons aujourd’hui : l’utilisation d’un groupe protecteur réversible sur l’extrémité 3'-OH de l’ADN. Cette méthode consiste à incorporer des bases de l’ADN, une par une de façon contrôlée, en utilisant des désoxynucléotides triphosphates (dNTP) protégés en 3'-OH ce qui permet de bloquer l’incorporation du dNTP suivant. Chacun dNTP est marqués sur la base azotée par un fluorophore distinct. Ainsi, chaque base peut être détectée par imagerie de manière individuelle et simultané. Après acquisition, le groupement protecteur peut être clivé et la base suivante incorporée. En d’autres termes, cela permet de lire l’ADN de nucléotides en nucléotides par synthèse chimique et d’obtenir la séquence précise en un temps record.

Deuxième défi : concevoir une polymérase appropriée

Autre challenge pour les chercheurs de Cambridge : modifier une enzyme naturelle, appelée ADN polymérase, pour lui permettre de lire les molécules d’ADN et d’en faire la synthèse du brin complémentaire, en introduisant des dNTP non-naturels (protégés en 3'-OH et marqués par un fluorophore sur la base azotée). Les chercheurs ont créé une polymérase mutée capables de se lier à l’ADN naturel simple brin, et d’introduire les dNTP de manière séquentielle. Contrairement à une polymérase naturelle qui synthétise le brin complémentaire sans se décrocher du simple brin dont il faut faire la copie, cette nouvelle polymérase a été développée pour se décrocher après introduction de chaque dNTP afin de pouvoir détecter le signal de fluorescence et d’effectuer le clivage du groupement protecteur en 3'-OH. Défis relevés avec succès !

Troisième défi : développer un support solide permettant d’attacher l’ADN à séquencer avec un bruit de fond de fluorescence réduit.

Les équipes de Solexa ont conçu quatre dNTPs, chacun affichant des fluorophores distincts et pouvant être chimiquement clivés après chaque cycle d’incorporation par la polymérase. Cette technique ne peut être efficacement mise en place que si la synthèse est effectuée sur support solide. Cela permet en effet d’avoir des rendements de synthèse quantitatifs et de mélanger les quatre dNTPs dans le milieu réactionnel simultanément pour rester dans un système d’incorporation compétitive des dNTP par la polymérase. Le développement d’une chimie de surface représente donc le défi majeur auquel étaient confrontés les chercheurs. Chaque brin d’ADN devait être immobilisé sur une surface solide afin de déterminer quel nucléotide pouvait être incorporé sur quel brin. Il fallait prendre en compte l’efficacité de la chimie d’attachement de l’ADN, la stabilité de cette chimie qui doit être capable de maintenir le fragment d’ADN sur la surface pendant de nombreux cycle de synthèse, et présenter un faible bruit de fond de fluorescence afin d’avoir un ratio signal de fluorescence dNTP / bruit de fond de la surface exploitable. Le polyacrylamide a été une première option, pour son potentiel de stabilité ainsi que pour son rapport signal/bruit élevé – le signal fluorescent utilisé pour détecter les bases de l’ADN est plus fort que le bruit de fond, permettant ainsi une lecture des données plus claire et précise.

Quatrième défi : améliorer la précision de séquençage de l’ADN

Afin d’améliorer la détection de chaque dNTP marqués par un fluorophore (une molécule capable d’émettre une fluorescence lorsqu’elle est excitée), et de s’affranchir des incorporations incorrectes de dNTPs, ce qui est inhérent à chaque polymérase, la technique du « clustering moléculaire » a été développée par Manteia Predictive Medicine** et exploitée par Solexa. Son but : amplifier localement chaque fragment unique d’ADN à séquencer pour augmenter le rapport signal/bruit mais aussi annuler le signal d’un dNTP incorrectement incorporé de manière stochastique parmi d’autres correctement incorporés. Cette technique consiste à amplifier localement chaque fragment unique afin de créer une colonie de copies identiques. Cette innovation permet de séquencer plus rapidement, en capturant un signal plus fort et en minimisant les erreurs de séquençage.

Les travaux réalisés ont ouvert la voie à des applications cliniques plus rapides, plus précises et plus fiables. Leur vision et prise de risque dans l’invention d’une technologie de séquençage d’ADN de rupture a non seulement pu accroitre notre compréhension des maladies telle que le cancer, mais a également joué un rôle crucial dans l’essor de traitements potentiels.

 

* Depuis, Solexa a été rachetée par la société américaine Illumina
** Une start-up suisse, dont certains développements technologiques sont utilisés dans le séquençage Solexa/Illumina.

 

Référence : R. Rodriguez et Y. Krishnan, The Chemistry of next-Generation Sequencing, Nature Biotechnology, 2023. DOI:10.1038/s41587-023-01986-3