Présentation

Les cellules souches sont essentielles au développement des tissus et des organes, ainsi qu’à leur maintien tout au long de la vie. Elles se caractérisent par leur capacité à s’auto-renouveler et à générer des cellules différenciées. Comprendre l’équilibre entre ces deux propriétés est un objectif majeur de la médecine régénérative et a des implications cruciales en biologie du cancer. Notre groupe cherche à élucider les mécanismes qui régulent ces processus et leur rôle collectif dans le maintien de l’homéostasie tissulaire.
Nos questions de recherche principales
Les travaux du laboratoire Bardin abordent trois questions fondamentales :
Comment l’auto-renouvellement et la différenciation sont-ils orchestrés ?
Quelles sont les causes et les conséquences de la perte d’intégrité du génome des cellules souches ?
Quels sont les mécanismes qui assurent la régulation de l’homéostasie à l’échelle tissulaire ?
Notre modèle d'étude: L'intestin moyen de Drosophila melanogaster
Pour répondre à ces questions, nous utilisons l’intestin moyen de Drosophila melanogaster, un modèle simple mais puissant, bénéficiant d’un large éventail d’outils génétiques facilitant son étude. L’intestin moyen contient environ 2 000 cellules souches intestinales multipotentes (ISCs), qui donnent naissance à deux types cellulaires différenciés nécessaires à la fonction intestinale : les entérocytes (ECs) et les cellules entéroendocrines (EEs). Alors que ces cellules différenciées sont remplacées de façon hebdomadaire chez les individus sains, elles peuvent être rapidement régénérées en cas d’infection bactérienne ou de traitement chimique. Ainsi, l’intestin de Drosophila constitue un système efficace et simple pour modéliser des tissus de mammifères, tels que l’intestin, le poumon ou la peau, qui doivent se régénérer en réponse à des stimuli environnementaux.
1. Régulation de l'auto-renouvellement et de la différenciation
Pour mieux comprendre les mécanismes de régulation de l’auto-renouvellement et de la différenciation des ISCs, nous avons utilisé à la fois des cribles génétiques non biaisés et des approches fondées sur des gènes candidats, ce qui nous a permis d’identifier plusieurs régulateurs des décisions de lignée (Bardin et al. 2010, Development ; Perdigoto et al. 2011, Development ; Sallé et al. 2017, EMBO J). Nos travaux ultérieurs ont mis en évidence le rôle du remodelage de la chromatine dans la prolifération des cellules souches, révélant des remodeleurs clés conservés chez les mammifères (Andriatsilavo et al. 2018, PLoS Genet ; Gervais et al. 2019, Dev Cell).

Figure 2. Transitions d’état de la chromatine entre les ISCs et les ECs, les ISCs et les EEs. Les boîtes représentent la proportion de gènes marqués par chaque état de la chromatine. Les flux indiquent la proportion de gènes subissant des transitions d’état de la chromatine d’un état à un autre entre les différents types cellulaires.
Afin d’explorer plus en profondeur les transitions d'expression génique spécifiques aux types cellulaires, nous avons cartographié les facteurs associés à la chromatine à l’aide d’une approche de modélisation statistique, ce qui nous a permis de caractériser les transitions d’état de la chromatine à l’échelle du génome, associées à la différenciation et à l'amorçage des lignées (Josserand et al. 2023, Dev Cell).
Nous étudions actuellement la manière dont des facteurs intrinsèques et extrinsèques aux cellules, tels que le régime alimentaire ou le microbiote, peuvent influencer la fonction des remodeleurs de chromatine et l’expression génique.
2. Causes et conséquences de pertes d'intégrité du génome
Le laboratoire a montré dans le passé que les ISCs acquièrent des mutations spontanées fréquentes au cours du vieillissement, se traduisant par des altérations phénotypiques facilement identifiables, notamment des mutations fréquentes du gène suppresseur de tumeur Notch, à l’origine de la formation de tumeurs (Siudeja et al. 2015, Cell Stem Cell).

Figure 3. Expansion clonale due à l'acquisition d'une mutation spontanée dans le gène suppresseur de tumeur Notch.
Ce modèle nous a permis de faire plusieurs découvertes majeures :
L’analyse clonale des mutations des cellules souches a mis en évidence l’existence de drivers et passengers de l’inactivation de Notch, et a montré que ces tumeurs chez la mouche présentent une charge mutationnelle comparable à certains cancers humains (Riddiford et al. 2021, Genome Res).
L’analyse par séquençage du génome complet (WGS) de tissus clonaux somatiques a révélé que la mobilité des éléments transposables modifie les génomes des cellules souches (Siudeja, van den Beek et al. 2021, EMBO J).
La perte d’hétérozygotie, processus clé dans les cancers humains, a été attribuée à la recombinaison mitotique dépendante de la résolution de doubles jonctions de Holliday (Al Zouabi et al. 2023, Cell Rep).
Nous nous concentrons actuellement sur l’étude des effets précoces des perturbations spontanées de l’intégrité du génome, et sur l’identification des mécanismes de compensation susceptibles d’atténuer ces altérations.
3. Quels sont les mécanismes qui assurent la régulation de l’homéostasie à l’échelle tissulaire ?
L’homéostasie tissulaire repose sur un équilibre délicat entre auto-renouvellement et différenciation des cellules souches. Afin d’identifier les facteurs susceptibles de perturber cet équilibre, nous avons étudié le stress réplicatif comme vulnérabilité potentielle des ISCs. Nos travaux récents ont montré que le stress réplicatif, induit par une altération des réserves en nucléotides, peut être compensé dans les disques imaginaux alaires larvaires par un échange de nucléotides via des jonctions communicantes. Cependant, les ISCs ne possèdent pas de jonctions communicantes, ce qui les empêche d’utiliser ce mécanisme et pourrait rendre l’intestin plus sensible au stress réplicatif (Boumard, Le Meur et al 2025, accepté, Dev Cell).

Figure 4. Transfert de nucléotides entre les jonctions communicantes dans les disques imaginaux ailaires larvaires. Les ISCs, dépourvues de jonctions communicantes, ne sont pas capables de recevoir des nucléotides via les ECs et EEs environnants.
Sur la base de ces résultats, nous explorons actuellement le rôle d’un éventail plus large de mécanismes de partage métabolique dans le maintien de l’homéostasie tissulaire.
