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COVID-19 et biologie cellulaire : cibler de nouveaux mécanismes en jeu dans la replication virale

17/04/2020
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3 questions à Kristine Schauer, chercheuse CNRS au sein de l’unité Biologie et Cancer de l’Institut Curie

Kristine Schauer

Quel lien existe-t-il entre vos travaux sur les cellules cancéreuses et l’étude du SARS-Cov-2 ?

Dans le laboratoire de Bruno Goud « Mécanismes moléculaire du transport intracellulaire », mon équipe étudie l'architecture des cellules humaines et son évolution au cours de maladies comme le cancer. Les cellules humaines contiennent de nombreuses structures intracellulaires appelées organites dont nous savons qu’ils sont spécifiquement organisés dans l’espace cellulaire et que cette organisation est importante pour les fonctions cellulaires. Cependant, on ne sait que très peu de choses sur le devenir des organites pendant le cancer. C’est ce que nous étudions au laboratoire en utilisant des cellules cultivées sur des « micro-patrons » : un système simplifié qui nous permet de comparer entre elles un grand nombre de cellules. Grâce à ce dispositif, nous avons montré que des différences dans l’organisation des organites existent entre les cellules cancéreuses et les cellules normales, ce que nous étudions actuellement en détail.

Or, tout comme les cellules cancéreuses qui modifient leurs fonctions pour favoriser une prolifération incontrôlée, les cellules infectées par un virus sont reprogrammées pour favoriser la production virale. Fait intéressant, les coronavirus humains, auxquels appartient le SARS-Cov-2, ont besoin pour se répliquer d'une structure intracellulaire spécifique appelée compartiment de réplication virale (CRV). Pour produire ces CRVs essentiels à leur multiplication, le virus modifie les organites cellulaires de l’hôte mais ces mécanismes sont encore méconnus.

En collaboration avec des microbiologistes, nous avons déjà révélé, les modifications intracellulaires survenant dans des cellules infectées par différents pathogènes, dont certaines bactéries invasives et le virus de l'hépatite C. Aujourd’hui, nous utilisons notre système cellulaire simplifié afin d’identifier la machinerie cellulaire de l’hôte essentielle pour l'établissement des CRVs. Ces connaissances pourraient être utilisées pour interférer avec la réplication virale grâce à une approche thérapeutique dirigée contre l'hôte.

En quoi consiste le projet COVID-19 que vous coordonnez ?

Les organites intracellulaires ainsi que les compartiments de réplication virale (CRVs) sont constitués de lipides spécifiques. Pour pouvoir se répliquer, les coronavirus, et probablement le SARS-Cov-2, doivent transférer les lipides des organites cellulaires aux CRVs. Nous cherchons à comprendre comment ce transfert est réalisé. Notre projet est basé sur le fait que la formation des CRVs présente une similitude avec un processus au cours duquel la cellule humaine construit un nouvel organite appelée autophagosome. La découverte de ce processus - appelé autophagie - a été récompensée par un prix Nobel en 2016.

L'autophagie est un processus très complexe, encore peu compris et dont la dérégulation joue un rôle important dans de nombreuses maladies dont le cancer. Notre objectif est de développer des biocapteurs capables de surveiller le transfert des lipides lors de la formation des autophagosomes ou des CRVs. Ces biocapteurs pourraient également être utilisés pour surveiller l'infection par le SARS-Cov-2 et d'autres virus dans des cellules uniques. De plus, ils pourraient être utilisés pour identifier les médicaments qui interfèrent avec le transport des lipides pour la réplication virale ou pour étudier les changements dans le transport des lipides intracellulaires pendant la progression du cancer.

Que peut-on attendre de ce projet en termes de stratégies thérapeutiques ?

Le projet vise à révéler de nouveaux aspects de la biologie du SARS-CoV-2 lors de la réplication du virus dans les cellules humaines. En particulier, nous aimerions identifier les protéines hôtes indispensables à la réplication du SARS-Cov-2. Cela constituera une base pour le développement de nouveaux médicaments antiviraux ciblant l'hôte. Nous pensons que notre bibliothèque de biocapteurs pourrait être directement utilisée afin d’identifier des molécules qui perturbent la réplication du SARS-Cov-2 et de comprendre leurs mécanismes d’action.

Comme nos recherches se concentrent sur l'hôte, notre approche pourrait s’appliquer, à plus long terme, à d'autres virus qui nécessitent la formation de CRVs tels que le VHC, le virus Zika ou encore le virus de la peste porcine africaine.