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COVID-19 et biologie cellulaire : nouveaux tests de dépistage et nouvelles stratégies antivirales

08/04/2020
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4 questions à Franck Perez, directeur CNRS de l’unité Biologie Cellulaire et Cancer de l’Institut Curie

Franck Perez

Franck Perez

Vous démarrez plusieurs types de projets autour du COVID-19. L’un d’entre eux consiste à développer de nouveaux tests de dépistage à base d’anticorps, pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Actuellement, les tests qui permettent de diagnostiquer le COVID-19 sont effectués à partir de l’étude de l’ARN et de l’ADN (tests PCR). Mais ces tests sont coûteux, long et risquent d’être en pénurie. Aujourd’hui, en collaboration avec l’Institut Pasteur, mon équipe participe à un projet visant à mettre au point des nouveaux tests basés, non plus sur l’ADN mais sur les anticorps, qui sont rapides et capables de faire face à la pénurie. Pour se faire, nous allons mettre en œuvre une stratégie de sélection d’anticorps in-vitro implémentée depuis plusieurs années au sein de notre laboratoire et qui repose sur la technologie de « phage display » récompensée le Prix Nobel de chimie 2018. Son principe : identifier les interactions entre certaines protéines ou peptides et des cibles diverses comme d’autres protéines ou des acides nucléiques en utilisant un certain type de virus bactérien (des phages) pour sélectionner des molécules d’intérêt. L’avantage majeur de cette méthode, c’est sa rapidité car elle s’affranchit d’une longue étape d’immunisation naturelle chez l’animal. Nous nous appuyons sur la plateforme « Anticorps » de l’Institut Curie qui utilise des banques d’anticorps entièrement synthétiques que nous avons construites. Grâce à ce dispositif, nous espérons pouvoir identifier des anticorps pour détecter le coronavirus dans les échantillons de patients. Nous travaillons aussi avec l’Institut Pasteur pour développer des tests rapides de sérologie permettant de détecter des anticorps dirigés contre le virus chez les individus. Après la crise, ces tests permettraient de reconnaître les personnes séropositives, qui ont rencontré le virus et pourraient être protégées, et celles à risque car non immunisées.

Sous quelle forme se présente le coronavirus dans vos expérimentations à venir ?

Il faut être très clair. A l’Institut Curie, nous ne travaillons pas avec les souches du virus. Nous utilisons de très bons modèles expérimentaux in-vitro que sont les virus dits « pseudo-typés » : il s’agit de particules qui portent les motifs des particules virales, qui permettent de reproduire les mécanismes d’infection du coronavirus mais qui sont incapables de se répliquer et qui n’expriment aucun gène toxique. Les manipulations de souches de SARS-Cov-2 (l’agent du COVID-19) requièrent des niveaux de sécurité élevés (laboratoires P3). Bien que nous soyons équipés de tels laboratoires à l’Institut Curie, mon équipe n’est pas une équipe de virologistes et nous collaborerons avec des équipes spécialisées si l’accès à des tests sur les virus devenait nécessaire.

D’autres projets visent à identifier des molécules actives capables de bloquer l’infection cellulaire du COVID-19, en quoi consistent-t-ils ?

Par essence, les infections virales sont des maladies cellulaires, et la biologie cellulaire peut beaucoup apporter dans ce cadre. Tous les virus exploitent des protéines ou des lipides naturellement exprimés par les cellules et les détournent pour servir leurs propres intérêts. Beaucoup de virus exploitent en outre d’autres protéines cellulaires pour devenir actifs, pénétrer dans les cellules puis les infecter. Concernant le SARS-Cov-2 : son récepteur à la surface des cellules est l’ACE2 (Angiotensin-Converting Enzyme 2), une enzyme active dans la voie de l’angiotensine : une protéine impliquée dans la régulation de la pression artérielle mais l’action de protéases cellulaires est aussi indispensable à l’infection.

Une piste anti-COVID-19 pourrait cibler l’ACE2 en l’empêchant de parvenir à la surface. C’est une voie prometteuse mais cette protéine est très importante et sa perturbation semble jouer un rôle dans l’affection des poumons. L’autre option est donc de cibler les protéases en les inhibant. Notre approche est fondée sur nos connaissances des voies de transport à l’intérieur des cellules. Grâce à la plateforme de criblage BioPhenics de l’Institut Curie, notre projet consiste à identifier une ou plusieurs molécules, parmi les 1 500 d’une bio-banque rassemblant des molécules qui sont déjà utilisées comme médicaments (et donc autorisées pour leur utilisation chez l’homme), permettant de réduire l’expression de ces protéases à la surface des cellules. Ce projet est une piste concrète de développement de traitements contre le COVID-19 qui reproduit un schéma que nous avons validé par ailleurs. Nous avons construit notre projet sur 6 mois : 4 mois pour identifier la ou les molécules candidates et 2 mois pour évaluer les doses efficaces et étudier les possibles effets synergiques de traitements combinés.

Nous avons un autre projet avec mon collègue Raphaël Rodriguez qui dirige l’équipe Chimie et Biologie du Cancer à l’Institut Curie et en partenariat avec une société française. Il s’agit là d’un projet à plus long terme et de plus grande envergure puisque nous envisageons un criblage beaucoup plus vaste. A partir d’un million de molécules, notre objectif serait d’en isoler environ un millier qui pourraient avoir une activité in vitro, d’en valider certaines sur des tests cellulaires, puis de les optimiser pour proposer des molécules d’intérêt contre le SARS-Cov-2, ou d’autres virus apparentés qui pourraient apparaître dans le futur.

Le mot de la fin ?

La compréhension des mécanismes fondamentaux de biologie cellulaire est au cœur de nos recherches et aujourd’hui, notre expertise, et l’investissement dans des plateformes technologiques de haut niveau, nous a permis d’être très réactifs et de proposer rapidement des projets pour envisager des stratégies diagnostiques et thérapeutiques concrètes contre le COVID-19. Mais il nous semble important de nous inscrire à plus long terme. D’une part, le COVID-19 pourrait rester en foyer dans différents pays. Mais surtout, après le MERS, le SARS et aujourd’hui le COVID-19, il est important d’investir dans la recherche pour comprendre les mécanismes cellulaires et prévenir les risques liés aux épidémies à coronavirus.