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COVID-19 et immunologie : des pistes vers de nouvelles stratégies vaccinales contre les virus émergents

08/04/2020
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4 questions à Nicolas Manel, directeur de recherche Inserm au sein de l’unité « Immunité et cancer » de l’Institut Curie

Nicolas Manel

Nicolas Manel

Pouvez-vous nous dresser un portrait du virus responsable du COVID-19 ?

Tout comme les virus responsables du SRAS (Syndrome Respiratoire Aigu Sévère) apparu en Chine en 2002-2003 et du MERS, originaire du Moyen-Orient en 2012-2013, le SARS-CoV-2 (responsable du COVID-19) est un virus émergent, de la famille des coronavirus. Ces virus sont sphériques, portant des protéines dites « spikes » à leur surface d’où leur forme de couronne typique en microscopie et leur nom. Les virologues connaissent bien cette famille des coronavirus ; ils sont nombreux dans le règne animal. Tout comme le SRAS et le MERS, le SARS-CoV-2 est issu d'une espèce naturelle hôte : la chauve-souris. Le SARS-CoV-2 a « sauté » aléatoirement dans une espèce intermédiaire (le pangolin) puis, du fait d’une adaptation également aléatoire, a contaminé l’homme et est à l’origine de la pandémie actuelle.

Le SARS-CoV-2 se transmet par les sécrétions. Il provoque une pathologie bénigne chez la plupart des gens. Selon les derniers chiffres, 90% des personnes n’ont aucun symptôme ; 10% présentent des symptômes dont seulement un très faible pourcentage déclare des symptômes pulmonaires très graves (les virus détruisant les cellules pulmonaires) qui peuvent conduire à des insuffisances respiratoires jusqu’au décès des patients.

La principale spécificité du SARS-CoV-2 réside dans son mode de transmission puisqu’il se transmet pendant la phase d’incubation alors même que les personnes ne présentent pas de symptôme de la maladie et ne savent donc pas qu’elles sont infectées. C’est toute la différence avec le SARS ou le MERS pour lesquels les personnes ne devenaient contagieuses qu’au moment où elles déclaraient la maladie. On ne sait pas expliquer cette nouvelle transmission mais c’est cela qui explique en majeure partie l’ampleur de la pandémie.

Où en est la recherche de vaccin contre le COVID-19 ?

Ce virus SARS-Cov-2 est émergent, personne n’y a jamais été exposé et personne n’a d’immunité mémoire contre ce virus. On ne dispose donc pas de vaccin contre le COVID-19 et c’est là tout le problème de santé publique mondiale.

Le virus est apparu en décembre dernier et les équipes ont aussitôt pris le pas pour développer des vaccins. Aujourd’hui, une cinquantaine de vaccins dans le monde sont en cours de fabrication, de tests, voir même d’essai clinique. Mais on sait que la mise au point d’un vaccin, via les approches classiques, nécessite environ 18 mois. Il y a des temps incompressibles de design, de fabrication, de tests… La (relative) bonne nouvelle concernant ce virus, c’est qu’il est très stable génétiquement (à l’inverse du VIH par exemple) et les vaccins actuellement en cours de développement devraient être efficaces plusieurs mois, voire plusieurs années. Le virus va circuler par vague et pour les prochaines, nous disposerons du vaccin qui devrait nous permettre de circonscrire l’épidémie.

Vous travaillez sur des technologies innovantes en vaccinologie, pourraient-elles s’appliquer au COVID-19 ?

Dans mon équipe, nous explorons de nouvelles méthodologies pour concevoir de nouveaux types de vaccins, plus rapides et plus efficaces que ceux obtenus via le processus historique, classique. Suite à des travaux menés à l’Institut Curie, nous avons déposé il y a quelques années un brevet Curie-Inserm relatif à une nouvelle plateforme vaccinale. Dans le prolongement, en 2015, nous avons co-fondé avec Sylvain Carlioz, une start-up qui travaille en collaboration avec l'Institut Curie: Stimunity (www.stimunity.com) pour développer des projets de vaccins en oncologie.

Cette plateforme s’appuie sur le fait que nous sommes parvenus à glisser dans des particules de virus inactivé un immunomodulateur naturel (qui joue le rôle d’adjuvant) : cGAMP, une molécule présente dans les cellules capables d’activer fortement les réponses immunitaires. C’est un peu le principe du cheval de Troie : le virus, c’est le cheval avec toutes les protéines contre lesquelles on veut vacciner et puis, à l’intérieur, on insère le cGAPM qui va permettre d’activer les réponses immunitaires.

Pour le moment, nous menons des projets en cancérologie mais nous pourrions exploiter notre technologie contre les maladies infectieuses. L’un des enjeux majeurs dans les années à venir va être de développer un arsenal de vaccins différents contre les virus émergents. Dans ce contexte, nous sommes en train de réfléchir à faire évoluer notre plateforme sur un projet coronavirus et à valider l’utilisation de notre méthode sur d’autres virus apparentés.

Comment vos travaux sur le cancer peuvent-il aider à mieux comprendre le COVID-19 ?

Depuis longtemps, avec mon collègue Matthieu Piel, qui dirige l’équipe « Biologie cellulaire systémique de la polarité et de la division » à l’Institut Curie, nous travaillons sur le cancer et nous menons des projets de recherche fondamentale sur la compréhension du vieillissement du système immunitaire. En effet, énormément de cancer sont liés à l’âge (qu’il s‘agisse du cancer du poumon, du sein…). Certains facteurs de risque tels que les mutations génétiques sont liés à l’âge mais ce n’est pas la seule explication de la survenue des cancers. Il y a beaucoup d’autres mécanismes qui surviennent dans le développement des cancers et qui ne sont pas encore compris.

Nous avons donc développé des modèles animaux pour tester différents mécanismes liés au système immunitaire et nous avons trouvé des résultats intéressants au niveau des poumons. Or, lorsque l’épidémie de COVID-19 a démarré, l’âge est apparu comme un élément important. Plus les personnes sont âgées et plus les symptômes sont sévères. Avec l’infection au SARS-CoV-2, il y a un facteur de risque lié à l’âge évident qui n’est pas compris. Etant donné la nature de nos travaux et nos précédents résultats, avec mon collègue Olivier Schwartz de l’Institut Pasteur, nous avons monté un projet que nous sommes actuellement en train de tester au laboratoire. Et il y a une vraie cohérence pour l’Institut Curie : biologiquement, il y a des mécanismes communs à la survenue des cancers et à l’infection au SARS-CoV-2. Il est donc aussi important de comprendre le coronavirus dans la lutte contre le cancer.