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PRAIRIE : le rôle clé de l’Institut Curie dans le développement de l’IA

01/10/2019
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Le projet parisien d’Institut Interdisciplinaire d’Intelligence Artificielle PRAIRIE (PaRis Artificial Intelligence Research InstitutE) porté par le CNRS, l’Inria, l’Institut Pasteur, l’Université de Paris et l’Université PSL (dont l’Institut Curie est membre associé), est officiellement lancé.

PRAIRIE

En mars 2018, le Président de la République Emmanuel Macron avait lancé un appel visant à la création d’Instituts Interdisciplinaires d’Intelligence Artificielle (3IA) en France à l’occasion du sommet « AI for Humanity ». En mai dernier, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a annoncé la sélection du projet PRAIRIE par un jury international. Soutenu par plusieurs grandes entreprises innovantes[1], PRAIRIE ambitionne de créer à Paris un lieu d’excellence en intelligence artificielle (IA) à un niveau international pour contribuer au progrès des connaissances en IA et à leurs applications ainsi qu’à la formation des futurs chercheurs et ingénieurs en IA.  

PRAIRIE compte quatre chaires interdisciplinaires de formation et de recherche confiées à l’Institut Curie : Emmanuel Barillot, directeur de l’unité U900 (Institut Curie/Mines ParisTech/Inserm) Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie, Andrei Zinovyev, coordinateur scientifique d’équipe Biologie des Systèmes du Cancer dans l’unité U900, Thomas Walter, directeur du Centre de bioinformatique CBIO (Centre for Computational Biology) de Mines-Paris -Tech, partenaire de l’U900, et Chloé Azencott, chercheur au CBIO.

L’intelligence artificielle de I à A

Pour comprendre l’enjeu de ce projet et le rôle important que l’Institut Curie y jouera, rebroussons chemin pour évoquer quelques éléments de contexte et notamment l’IA, ses applications et la position de l’Institut Curie dans ce domaine. L'IA vise à conférer à des machines la capacité de résoudre des problèmes complexes par des algorithmes simulant les processus cognitifs humains, comme apprendre (d’où le terme de machine learning, une technologie permettant à des ordinateurs d’apprendre à analyser en s’entraînant sur de grandes quantités de données), hiérarchiser sa mémoire, raisonner ou même corriger ses erreurs. Elle peut ainsi permettre à ces machines de reconnaître et classer des images, de détecter des objets, de traduire automatiquement…

L’IA est aujourd’hui intimement liée aux « big data » (très grandes quantités de données) et aux énormes capacités de collecte, de stockage et de calcul des systèmes informatiques modernes : l’IA aide les systèmes à mieux gérer et exploiter des big data, tandis que les big data aident l’IA à mieux apprendre automatiquement (avec des méthodes telles que le deep learning). En effet, grâce à ses réseaux de neurones artificiels constitués d’algorithmes mathématiques, l’IA d’une machine peut s’inspirer de la physiologie du cerveau et dépasser ses capacités, en particulier de mémoire ! Toutefois, elle reste sur de nombreux points, encore en-deçà des capacités de l’intelligence humaine, par exemple sur l’adaptation à la nouveauté ou la finesse de jugement. Elle représente donc surtout un précieux outil au service de certaines activités de l’homme.

Des applications diverses et un focus sur la santé

Aujourd’hui, l’IA émerge dans de nombreux domaines comme l’industrie automobile avec le véhicule autonome, la finance, mais aussi la santé, que ce soit dans la recherche en biologie ou l’aide au diagnostic. C’est sur ce point que l’Institut Curie, qui produit des « big data » et développe l’IA depuis une vingtaine d’années au service de la lutte contre le cancer, a su valoriser ses atouts pour ce projet et pourra représenter, avec l’AP-HP pour ses recherches sur les maladies rares, le volet « santé » de PRAIRIE. « L’Institut Curie a un rôle important à jouer dans ce projet car nous disposons d’une très grande quantité de données issue des soins et de la recherche », explique Emmanuel Barillot.

Avec le séquençage génomique et l’analyse de l’expression génique des tumeurs, nous parvenons à niveau très élevé d’information qui induit une transformation non seulement quantitative, mais aussi qualitative de la recherche et des soins. A ces données génomiques s’ajoutent bien sûr les données d’imagerie telles que l’IRM, le PET-scan et l’image d’anatomopathologie.

Les bases de données de référence de l’Institut Curie, qui comprennent des génomes de tumeurs, leurs caractéristiques biologiques et leur évolution en fonction des traitements, permettent de faire avancer la recherche et de traiter plus efficacement de nouveaux patients. « Mais pour analyser ces données qui peuvent représenter un téraoctet d’information génomique par tumeur et nous améliorer à partir de l’expérience passée, il nous faut des outils d’IA comme le machine learning », ajoute Emmanuel Barillot.

PRAIRIE nous permettra d’accélérer nos développements en IA, mais nous apporterons aussi notre expertise à ce projet. En effet, nous savons ce que les données signifient et interpréter les résultats, nous connaissons les questions biologiques et médicales intéressantes sur le cancer, nous menons depuis longtemps des projets qui intègrent l’IA dans l’étude des tumeurs et nous sommes en mesure de fournir des méthodes et algorithmes utiles pour le médecin et le patient. Nous avons donc les données, les questions, l’expérience et un savoir-faire dans l’utilisation de l’IA pour la lutte contre le cancer 

Vers une médecine augmentée

En effet, l’Institut Curie mène déjà de nombreux projets en gestion de données et IA, en interne et dans le cadre de partenariats industriels, de la collecte des données jusqu’au développement d’outils d’IA.

Nous travaillons notamment sur la structuration, l’anonymisation et l’harmonisation des données issues des soins et de la recherche à l’Institut Curie de sorte qu’elles puissent ensuite être analysées par des algorithmes d’IA et être utiles pour les chercheurs et les cliniciens 

explique Xosé Fernandez, directeur des Data à l’Institut Curie et porteur du projet PRAIRIE au niveau de l’établissement.

Nous cherchons à accélérer les analyses et à ajouter aux données de génomique des informations de pathologie ou d’imagerie pour développer des modèles plus élaborés. Nous développons aussi des outils pour automatiser certaines tâches routinières et chronophages des médecins telles que la modélisation 3D des tumeurs pour les plans de radiothérapie, afin de leur dégager temps avec leur patient ou pour les cas plus complexes. Nous sommes dans une démarche de médecine augmentée, pas de substitution du médecin

De l’analyse automatique de rapports médicaux à l’étude de cellules uniques

Déjà fortement investies dans la recherche en IA appliquée à la lutte contre le cancer, les équipes de l’Institut Curie fourmillent de projets prometteurs pour PRAIRIE. Les recherches et l’enseignement d’Emmanuel Barillot porteront par exemple sur l’exploitation des données « omics » (génomique, transcriptomique, protéomique, métabolomique…) tumorales et leur combinaison avec les dossiers médicaux, avec l’imagerie mais aussi avec la littérature scientifique pour optimiser les stratégies de traitement dans le cadre de la médecine de précision. Andrei Zinovyev se consacrera quant à lui à l’analyse des données « omics » single cell, soit à l’échelle de la cellule unique, qui exigeront d’employer des méthodes avancées de machine learning. « Les données single cell sont les véritables ‘big data’ de la biologie, car il s’agit d’analyser des millions de données sur une tumeur », déclare Andrei Zinovyev. « Et pour cela, nous avons besoin de l’IA, notamment d’une nouvelle direction appelée étude de la géométrie d’espace de haute dimension qui ouvre des perspectives révolutionnaires dans le domaine de la statistique ».

Thomas Walter poursuivra ses travaux sur des algorithmes d’analyse automatique d’images et des méthodes de machine learning et de vision par ordinateur appliquées à la biologie et à la médecine. 

Dans le cadre de PRAIRIE, je me focaliserai sur l’analyse d’images de microscopie pour étudier l’expression des gènes et l’effet de traitements au niveau cellulaire, mais aussi sur l’analyse automatique de biopsies afin de donner un support aux anatomopathologistes pour des tâches fastidieuses comme le comptage des cellules qui se divisent 

explique Thomas Walter.

Enfin, Chloé Azencott cherchera à identifier des marqueurs biologiques dans des données « omics » grâce à des « réseaux biologiques », soit des représentations de la circulation d’information cellulaire, en y intégrant des connaissances biologiques.

Dans le cadre de la médecine de précision, mes travaux méthodologiques pourront être utilisés pour suggérer des hypothèses biologiques expliquant des phénomènes complexes, du facteur de risque génétique à la réponse au traitement

résume Chloé Azencott.

Une PRAIRIE fertilisée par la transdisciplinarité, la diversité et la collaboration avec les industriels

Grâce à PRAIRIE, l’Institut Curie bénéficiera donc non seulement d’une reconnaissance de sa position d’innovateur majeur en IA au service de la lutte contre le cancer, mais aussi d’une transdisciplinarité favorable aux échanges : « En rassemblant plusieurs disciplines dans un même lieu, nous pouvons tirer parti des avancées des uns et des autres, par exemple des développements de l’analyse d’image pour nos IRM ou de la traduction automatique pour la structuration de nos dossiers médicaux », explique Xosé Fernandez. « J’aurai l’occasion de travailler avec des experts de l’IA qui l’appliquent comme moi à des données réelles dans d’autres disciplines et ainsi, d’accéder plus facilement aux innovations méthodologiques », ajoute Andrei Zinovyev.

De plus, PRAIRIE pourra se démarquer en faisant évoluer le ‘visage’, pour le moment majoritairement masculin, de l’IA : « J'ai hâte de faire bénéficier PRAIRIE de mon expérience en tant que co-fondatrice de Paris Women in Machine Learning and Data Science sur les questions de diversité dans le recrutement et la formation en IA », s’enthousiasme Chloé Azencott.

Enfin, le côtoiement d’industriels de premier plan dans le domaine des applications d’IA représente une formidable opportunité de collaboration, de progrès et de connaissance des enjeux contemporains de l’IA : « Pour un chercheur académique, PRAIRIE est une occasion unique de se connecter plus directement avec les activités des géants mondiaux des applications de l’IA », explique Andrei Zinovyev.

Les  entreprises qui soutiennent PRAIRIE  seront un atout indéniable pour  traduire les résultats des recherches en applications  concrètes pour la santé publique et le traitement des malades, un enjeu central pour l’Institut Curie

conclut Xosé Fernandez. 

 

[1] Amazon, Deepmind, Engie, Facebook, Faurecia, GE Healthcare, Google, Idemia, Microsoft, NAVER LABS, Nokia Bell Labs, Pfizer, Groupe PSA, Uber, SUEZ, Valeo.