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De C. elegans à l’être humain : le rythme dans les gènes

12/10/2023
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De la rencontre entre gamètes mâle et femelle à la constitution d’un amas de cellules, pour arriver à un être vivant complet, rien n’est laissé au hasard. Tout est précisément planifié et contrôlé génétiquement. Mais comment l’intervention des gènes est-elle programmée ? Pour le savoir, une équipe de l’Institut Curie a pris pour modèle le minuscule ver Caenorhabditis elegans, qui, en-dehors d’un laboratoire, vit naturellement dans le sol partout dans le monde.

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Traces de l'évolution de l'expression oscillatoire des gènes au cours du développement de C. elegans. L'image de microscopie représente un ver, piégé dans un dispositif microfluidique, dans lequel l…

Au cours du développement, les cellules se multiplient par divisions successives pour assurer la croissance et la reproduction de chaque être vivant. Ce processus est avant tout une question de génétique : les bons gènes doivent s’activer au bon moment, pendant une durée précise et dans le bon ordre. Or les cellules qui perdent le rythme et échappent au contrôle peuvent entraîner l’apparition de tumeurs.

Nous voulons comprendre ce qui maintient les gènes en alerte et pourquoi cette régulation fait défaut dans les cancers. Nous avons choisi dans ce cadre d’observer ce qui se passe dans les cellules souches chez le ver nématode C. elegans, et nous avons découvert une horloge génétique qui présente des similitudes avec l'horloge circadienne humaine

décrit le Dr Wolfgang Keil, chef de l’équipe Biologie quantitative du développement (CNRS UMR168 / Sorbonne Université).

Les nombreux atouts du ver nématode C. elegans

Le ver Caenorhabditis elegans est effectivement un excellent modèle pour cette étude, utilisé depuis des décennies pour identifier le fonctionnement génétique chez les vertébrés dans les processus physiologiques ou pathologiques. Il est transparent à toutes ses étapes de vie, permettant aux chercheurs d’observer en temps réel chaque division cellulaire et l’expression des gènes sous l’objectif d’un microscope. De surcroit, il se reproduit très rapidement, de sorte que l’on peut suivre l’ensemble de son développement, de la fécondation à l’âge adulte, en trois jours seulement.

Par ailleurs sa croissance suit un rythme régulier, déjà bien caractérisé. Il est donc facile de repérer les éventuels dysfonctionnements.

Le ver C. elegans n'a pas d'horloge circadienne. Mais il possède des gènes très similaires à deux gènes qui contrôlent les cycles jour-nuit chez les mammifères. Jusqu’à présent, on en savait peu sur le rôle de ces gènes chez le ver. « Nous imaginions que l'horloge génétique circadienne originelle s'est transformée durant l’évolution pour réguler le rythme de développement de cet organisme simple. »

Les gènes de programmation du développement de C. elegans

L’étude menée par l’équipe du Dr Wolfgang Keil, en collaboration avec l’équipe du Dr Christopher M. Hammell (Cold Spring Harbor Laboratory, New-York) a montré que deux protéines, NHR-85 et NHR-23, qui sont similaires à deux gènes qui contrôlent les cycles jour-nuit chez les mammifères, ROR et Rev-Erb, régulent le rythme du développement du nématode C. elegans.

Parce que le ver est très actif, nous avons conçu une technique d’imagerie pour l’immobiliser en douceur suffisamment longtemps afin d’observer l’expression de ses gènes en temps réel durant plusieurs heures. Nous avons ainsi découvert que NHR-85 et NHR-23 agissaient de concert pour déclencher une "impulsion" de l’expression génique du microARN lin-4, pour rythmer chaque étape du développement des cellules souches de C. elegans.

explique-t-il.

Les deux équipes ont aussi découvert comment une autre protéine, LIN-42, intervient dans ce processus. Cette dernière interrompt l’expression du microARN lin-4 à chaque étape de développement en bloquant l’action de la protéine NHR-85. Fait intrigant, LIN-42 est très similaire à un autre gène du rythme circadien des mammifères appelé Period.

Lorsque nous opérons une mutation au niveau des gènes exprimant les protéines de cette "horloge", l’expression génique des mirARN ne se produit plus au bon moment et au bon rythme. Nous aimerions désormais comprendre si l’horloge que nous avons découverte chez C. elegans régule également l’expression d’autres gènes. D’autres études ont par ailleurs établi que le développement des vers est plus rapide lorsqu’il faut chaud et plus lent à basse température. Comment les rythmes peuvent-ils être différents alors que le cadencement des étapes reste le même ? C’est ce que nous voulons désormais découvrir.

conclut le Dr Wolfgang Keil.

Référence : B. Kinney et al., A circadian-like Gene Network programs the Timing and Dosage of heterochronic miRNA Transcription during C. elegans Development, Developmental Cell (2023).

Ces travaux ont été financés avec le Starting Package JPI de l’Institut Curie et avec le programme de bourses de doctorat IC3i financé par l’Institut Curie et L’Union européenne.