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Radiothérapie FLASH : l’effervescence d’un tournant prometteur

03/05/2021
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Dans le domaine de la radiothérapie, la communauté internationale est en ébullition avec les prémices de ce qui pourrait être une véritable révolution dans les années à venir. Découverte en 2014 dans les laboratoires de l’Institut Curie à Orsay par l’équipe de Vincent Favaudon, le « FLASH » est une technique de radiothérapie dans laquelle une irradiation à ultra-haut débit de dose est délivrée en une fraction de seconde.

Céline Vallot

Cette technique détruit les cellules tumorales tout en épargnant les tissus sains. Si les prochaines étapes de recherches valident de futures applications cliniques, la radiothérapie « FLASH » ouvrira de nouveaux horizons dans le traitement du cancer.

Contre le cancer, la chirurgie demeure l’arme numéro 1, très souvent complétée par la radiothérapie. En France, environ 2 personnes sur 3 souffrant d’un cancer, soit près de 190 000 personnes chaque année, sont traitées par radiothérapie. Le principe : délivrer localement des rayonnements ionisants qui détruisent les cellules cancéreuses en produisant des dommages sur leur ADN. Ces dernières décennies, beaucoup de progrès ont été réalisés en termes de précision d’imagerie, de balistique ou de dosimétrie et ont permis d’améliorer considérablement la survie des patients. Toutefois, il y a eu peu d’évolutions tant en matière de technologies embarquées dans les accélérateurs d’électrons (canon, section accélératrice, production de rayons-X) que dans les modalités de délivrance de la dose. Sur ce point précis, la découverte en 2014, dans les laboratoires de l’Institut Curie, de l’effet « FLASH » pourrait bien changer la donne dans les années à venir.

2014, la découverte : frapper la tumeur vite et fort

Tout a commencé en 1995 : Vincent Favaudon, chercheur radiobiologiste Inserm à l’Institut Curie, observe sur des cellules in vitro un effet radiosensibilisateur qui se déroule en quelques secondes après l'exposition aux rayonnements. Cette observation a motivé une recherche de longue haleine sur les effets du débit de dose, aboutissant en 2014 à la publication de résultats majeurs démontrant « l’effet FLASH » dans un modèle préclinique. Ces travaux ont montré que de fortes doses de rayonnement délivrées dans un temps très court, ont le même effet anti-tumoral qu’une radiothérapie classique avec deux avantages cruciaux : épargner les tissus sains et diminuer considérablement les temps de traitement. En radiothérapie conventionnelle, le débit de dose se situe autour du Gray (Gy) par seconde avec des fractions quotidiennes de 2 Gy cumulées, tandis que le FLASH délivre une forte dose d’irradiation (10 Gy ou plus, correspondant à la dose reçue en une semaine de radiothérapie conventionnelle) pendant un temps très court (typiquement un dixième de seconde), soit 1.000 à 10 000 fois plus intense qu'en radiothérapie conventionnelle.

Il nous a fallu 7 ans pour accumuler suffisamment de données et démontrer sans équivoque cet effet FLASH. Depuis, de nombreuses équipes ont reproduit nos résultats, dans différents modèles, démontrant à chaque fois une efficacité anti-tumorale inchangée et une protection contre les complications de la radiothérapie, notamment la fibrose pulmonaire ou la perte de mémoire produite par l'irradiation de l'encéphale.

explique Vincent Favaudon.

Tissus sains épargnés, quels phénomènes biologiques sous-jacents ?

Comment expliquer cet effet différentiel entre tissu sain et tumoral ? Les chercheurs de l’Institut Curie à Orsay scrutent les compartiments physiologiques, les différentes voies moléculaires, cellulaires, génétiques… afin d’élucider les mécanismes en jeu sous l’effet de l’ultra-haut débit de dose. Une première étape a été publiée en 2020.

Vincent Favaudon poursuit : « Pourquoi les tissus sains régénèrent-ils sous l’effet d’une radiothérapie FLASH tandis qu’ils ne le font pas après une irradiation conventionnelle ? Nous avons montré que la nature des dommages de l’ADN est différente et que les altérations varient selon le type d’irradiation mais il reste encore beaucoup à comprendre… et à prouver ! ».

L’une des pistes à l’étude est celle de l’oxygène dont on sait qu’il est un puissant radiosensibilisateur. Plusieurs projets coordonnés par l’Institut Curie sont actuellement en cours : FlashOx (ITMO Cancer, NanoTheRad IDEX). Ceux-ci visent entre autre à analyser quantitativement l’oxydation de certains lipides et de l’ADN sous l’effet des irradiations (FLASH versus conventionnel). L’objectif : étudier au niveau moléculaire les dommages radio-induits et la réponse cellulaire associée dans les cellules saines et tumorales afin de proposer le meilleur protocole de traitement pour bénéficier des propriétés de l’irradiation FLASH. Les chercheurs de l’Institut Curie décryptent les effets biologiques du « FLASH » grâce à des études de transcriptomique (analyse de l’activité de transcription du génome en fonction des irradiations) de l’ensemble des cellules qui constituent un tissu.

Un dispositif expérimental de pointe pour valider les applications cliniques

La prochaine génération d’accélérateurs d’électrons utilisés en clinique, notamment en radiothérapie intra-opératoire, pourrait voir le jour dans les prochaines années. Les patients bénéficieraient d’un traitement moins lourd et avec une efficacité anti-tumorale potentiellement augmentée.

explique Marie Dutreix, directrice de recherche au CNRS et cheffe d’équipe à l’Institut Curie.

Il était installé depuis plus de 30 ans dans les laboratoires du centre de recherche de l’Institut Curie à Orsay : le Kinetron, un accélérateur linéaire d’électrons expérimental. C’est lui qui a permis la découverte de l’effet FLASH. Il laisse désormais la place à une nouvelle génération d’accélérateur d’électrons : un dispositif prototype (Electron-Flash 4000) fabriqué en Italie par la société SIT. Au premier semestre 2021, cet appareil entre en phase opérationnelle pour engager une série de nouvelles études physiques, physico-chimiques, biologiques indispensables et préalables visant à porter la technique au stade des essais cliniques. Les projets se tournent aujourd’hui vers le traitement de tumeurs profondes et actuellement, les chercheurs, radiologues, physiciens… travaillent de concert et envisagent d’explorer la faisabilité de la radiothérapie peropératoire du pancréas avec de la radiothérapie FLASH.

Le Pr Gilles Créhange, chef du département de radiothérapie oncologique de l’Institut Curie, déclare :

Le FLASH provoque une ébullition scientifique, comme il y en a rarement eu ces dernières années dans l’univers de la radiothérapie. Rappelons que les plus grandes révolutions de la radiothérapie ont été liées à des découvertes au niveau de la physique médicale. En Suisse, il y a 2 ans, le premier cas d’un patient traité par radiothérapie FLASH d’une tumeur de la peau a montré de bons résultats. Cette technique est extrêmement prometteuse au niveau mondial mais il faudra néanmoins un recul de plusieurs années pour confirmer que l’irradiation FLASH réduit les séquelles à long terme en clinique.

Sur la piste des protons…

La méthodologie FLASH pourrait être appliquée à un autre type de particule : les protons. Or, le centre de protonthérapie de l’Institut Curie est leader français et européen dans ce domaine. Cette expertise rend légitime les travaux de recherche sur le « FLASH proton », une piste sérieusement explorée et pour laquelle chercheurs et médecins imaginent ensemble de potentielles applications, notamment dans le mélanome uvéal, un cancer radiorésistant très agressif.

Marie-Dutreix conclut : « Avec la radiothérapie FLASH, avec des électrons ou des protons, nous sommes à l’aube de ce qui pourrait amener un véritable changement de paradigme en radiothérapie. Mais nous ne pourrons mener à bien nos travaux qu’à travers un travail collectif et interdisciplinaire, impliquant fortement les chercheurs et les équipes de médecins, physiciens, biologistes, radio-biologistes de l’ensemble hospitalier et du centre de recherche de l’Institut Curie ».

La radiothérapie à l'Institut Curie