Équipe
Mécano-sensibilité active des cellules ciliées de l'oreille interne
Présentation
Les sens de l’audition des vertébrés est initié au cœur de l’oreille interne par la vibration mécanique de cellules mécano-sensorielles ciliées.
Les cellules ciliées assurent la transduction du stimulus sonore en un signal électrique qui se propage le long de voies nerveuses jusqu’au cerveau. Notre équipe développe une approche expérimentale à l’interface entre la physique et la biologie pour éclairer, aux échelles de la cellule ciliée et de ses composants moléculaires, le processus de transduction mécano-électrique qui façonne la sensation sonore à la périphérie du système auditif.
Les sens de l’audition des vertébrés est initié au cœur de l’oreille interne par la vibration mécanique de cellules mécano-sensorielles ciliées.
Les cellules ciliées assurent la transduction du stimulus sonore en un signal électrique qui se propage le long de voies nerveuses jusqu’au cerveau. Notre équipe développe une approche expérimentale à l’interface entre la physique et la biologie pour éclairer, aux échelles de la cellule ciliée et de ses composants moléculaires, le processus de transduction mécano-électrique qui façonne la sensation sonore à la périphérie du système auditif.
1. Mécanique active et motilité de la touffe ciliaire.
Les cellules ciliées tirent leur nom de leur antenne mécanique—la touffe ciliaire—qui émerge de la surface apicale de chaque cellule pour plonger dans le fluide environnant (Fig. 1). La touffe ciliaire referme quelques dizaines à quelques centaines de villosité cylindriques, appelées stéréocils. Sa mécano-sensibilité résulte de l’activation mécanique directe de canaux ioniques situé à la base de liens protéiques de bout-de-cil qui interconnectent les stéréocils près de leur sommet: les canaux ioniques s’ouvrent lorsque la tension dans les liens de bout-de-cil augmente en réponse à la déflexion de la touffe ciliaire.
Au laboratoire, nous étudions les propriétés mécaniques de la touffe ciliaire en la stimulant à l’aide d’une microfibre flexible ou d’un micro-jet de liquide. Nos expériences démontrent que cette antenne mécano-réceptrice fonctionne également comme une sorte de micro-muscle capable de mobiliser des ressources énergétiques d’origine biochimique pour se mouvoir activement. La motilité de la touffe ciliaire permet à la cellule ciliée d’amplifier mécaniquement les vibrations produites par le stimulus sonore et même d’osciller spontanément (Martin et Hudspeth, 1999; voir la vidéo 1 dans “Nos vidéos”). L’amplificateur ciliaire présente un double avantage pour la détection auditive : il permet d’élargir la gamme d’intensités sonores détectées en amplifiant les sons de faible intensité et d’affiner la sélectivité fréquentielle de la détection en filtrant le stimulus sonore reçu par la cellule ciliée. Le couplage élastique entre cellules voisines de l’organe auditif augmente la sensibilité et la sélectivité fréquentielle de la détection auditive, de telle sorte que l’unité fonctionnelle de l’oreille interne pour la détection d’une fréquence sonore comprend quelques dizaines de cellules ciliées (Barral et al, 2010). Curieusement, l’oreille ne fonctionne pas comme un récepteur sonore de haute fidélité: la perception sonore présente en effet des « sons fantômes » qui ne sont pas présents dans le stimulus acoustique. Nous avons montré à l’échelle d’une cellule ciliée unique que la non-linéarité de l’amplificateur ciliaire produit des distorsions avec des caractéristiques physiques que l’on retrouve dans les sons fantômes perçus par l’oreille humaine (Barral and Martin, 2012).
Pour interpréter nos résultats expérimentaux, nous avons développé une description théorique de la motilité ciliaire en collaboration avec nos collègues théoriciens. Cette description couple dynamiquement les canaux ioniques de la transduction mécano-électrique, les moteurs moléculaires qui tirent activement sur les liens de bout-de-cils , et l’influx calcique résultant de l’ouverture des canaux de transduction (Nadrowski et al, 2014; Tinevez et al, 2007; Bormuth et al, 2014). L’activation des canaux de transduction produit des forces internes à la touffe ciliaire qui, de manière effective, diminuent sa rigidité et augmentent sa friction (Martin et al, 2000; Bormuth et al, 2014; Barral et al, 2018; voir la vidéo 2 dans “Nos vidéos”). La rigidité de la touffe ciliaire peut même devenir négative, conduisant à une instabilité mécanique à l’origine de l’oscillation spontanée de la touffe ciliaire (Fig. 2).
Nos résultats de ces 20 dernières années nous conduisent à proposer que la formidable sensibilité et sélectivité fréquentielle de la détection auditive est le résultat de l’activité mécanique d’oscillateurs « critiques » dans l’oreille interne (Hudspeth et al, 2010): chaque cellule ciliée de l’organe auditif opérerait à proximité d’une instabilité oscillatoire ou bifurcation de Hopf, ce qui confère à la cellule une fréquence caractéristique près de laquelle la mécano-sensibilité au stimulus sonore est fortement amplifiée.
L’organe auditif renferme quelques milliers de cellules ciliées organisées spatialement le long d’un axe fréquentiel, aussi appelé axe tonotopique. Même si l’on sait que différentes fréquences auditives sont détectées par différentes cellules ciliées, le mécanisme qui règle la fréquence caractéristique d’une cellule ciliée dans la gamme auditive (20 Hz – 20 kHz chez l’homme) demeure mystérieux. Clarifier ce mécanisme constitue un enjeu majeur pour les recherches en cours et à venir. Récemment, nous avons démontré que la rigidité et la tension du complexe moléculaire associé aux liens de bout-de-cil présentent des gradients le long de l’axe tonotopique (Tobin et al, 2019). Le réglage mécanique des constituants internes de l’organe auditif semble en fait se produire sur une large gamme d’échelles spatiales, depuis l’échelle mésoscopique des membranes basilaire et tectoriale qui couplent mécaniquement des dizaines de cellules ciliées entre elles, à l’échelle cellulaire de la touffe ciliaire et du corps de chaque cellule ciliée, jusqu’à l’échelle moléculaire du complexe protéique (canaux ioniques, liens de bout-de-cil, …) responsable de la transduction mécano-électrique.
Sur le long terme, cette recherche fondamentale devrait pouvoir guider la conception de nouveaux dispositifs auditifs au service des patients souffrant de troubles auditifs.
2. Activité mécanique du système acto-myosine in vitro—oscillations bio-mimétiques.
Pour compléter nos travaux sur la mécano-sensibilité auditive à l’échelle cellulaire, nous étudions en parallèle les propriétés mécaniques du couple actine-myosine à partir de protéines purifiées in vitro. Notre objectif général est ici de produire un oscillateur artificiel pour mieux comprendre les principes physiques qui expliquent l’émergence d’une oscillation mécanique spontanée en biologie et identifier les paramètres qui déterminent la forme et la fréquence de l’oscillation (Plaçais et al, 2009). Un enjeu important concerne le réglage de la fréquence d’une oscillation dans la gamme auditive, en particulier au delà de quelques centaines de hertz. Récemment, nous nous sommes également intéressé au transport actif de cargo (billes) par de petits groupes de moteurs moléculaires myosines dans des réseaux de filaments d’actine d’architectures contrôlées (Richard et al, 2019).